Massilia Sound System

Beaucoup d’actualités en ce moment pour Massilia Sound System. Le nouvel album est tout récemment sorti dans les bacs, et la tournée bat son plein. Le concert à l’Elysée Montmartre (dont vous pouvez lire le compte rendu dans nos pages) est l’occasion d’une rencontre avec Tatou, un des MC du groupe. 

HexaLive : Le dernier album « Oai é Libertat » est sorti il y a moins d’un mois, comment avez-vous abordé sa conception ? Comment on crée un album de Massilia ?

Tatou : C’est pas très compliqué parce qu’on en a déjà fait moulons, on a donc une espèce de pratique, d’automatisme qui se met en place. On sait déjà tellement ce qui doit être ou ne pas être dans Massilia que c’est presque fait d’avance dans nos têtes. Avant on avait un endroit à nous où on travaillait tous les jours, ça se faisait lentement et quotidiennement. Là c’est un peu différent parce qu’on n’a plus de lieu donc on a bossé ensemble sur des périodes assez serrées.

HL : Et au niveau de l’écriture, comment ça c’est passé ?

T : On est revenu à un travail un peu comme on faisait avant. On a commencé comme un sound system, c’est à dire qu’on chantait sur les phases instrumentales des groupes de reggae. J’achetais les disques de reggae, on allait à la maison, on écoutait tous les instrumentaux et on délirait. On a travaillé un peu comme ça : Kayalik [ndlr : DJ] et Gari [MC] ont fait les bases, la programmation et puis on est venus poser des styles dessus.

HL : Combien de temps ça vous a pris ?

T : Dans les 6 mois pour poser les textes, refaire un peu les trucs… Tous les albums prennent à peu près 6 mois.

HL : Que pensez-vous que l’album ait de nouveau par rapport aux autres ?

T : Il a été fait en 2007 alors que les autres ont été fait avant…
Non, pour moi cet album c’est un retour aux sources, il est un peu comparable à Parlo Patois et aux premiers albums de Massilia. C’est un truc très rodadup, très dance hall, baleti quoi, y’a pas beaucoup de fusion, de mélange avec des trucs traditionnels comme l’Occitanista ou 3968 par exemple qui sont des albums qui montrent que finalement la position du DJ de sound system est la même que la position du chanteur de bourey.

HL : Pourquoi ce titre « Oai é Libertat » ?

T : C’est à cause de la section Aouf.
On tire toujours nos titres de trucs qui sont dans la réalité, dans le vivant. On a la chance d’avoir autour de nous des gens qui se sont emparés de ce qu’on raconte pour changer leur propre vie ; notamment dans le mouvement associatif avec une asso qui s’appelle « Massilia Chourm ». Et Oai et Libertat c’est le slogan d’une section de la Chourm, qui s’appelle la section Aouf !
C’est un peu un résumé, parce que le Oai, c’est le bordel pour essayer de traduire en français, c’est essayer de bousculer les choses qu’on te présente comme des évidences et des fatalités. Ne pas opposer la musique dite de jeunes et la musique dite de vieux, mais mettre des jeunes en présence des vieux pour voir ce qu’il va se passer. C’est la confusion, j’aime beaucoup ce mot.
Et puis la Liberté c’est le but, c’est la stratégie, la libération des gens.
Oai et Libertat c’est un bon résumé.

HL : Dans la chanson « Rendez-vous à Marseille », il y a certaine comparaison avec Paris, qu’est-ce que ça vous fait de venir chanter Marseille à la capitale ce soir ?

T : Ben moi c’est un peu spécial, je suis né à Paris. Mais en fait, si on prend l’essence de Marseille, c’est pour aller le porter ailleurs. Il y a toujours ce côté ambassadeur, que ce soit à Paris ou dans d’autres villes. Après, on n’a jamais été pour le côté Paris contre Marseille, Marseille contre Paris. Donc ce que ça fait ? ben pas plus que d’aller jouer à Strasbourg. Mais je pense que ça va être un bon concert, comme à chaque fois qu’on a joué à Paris.

HL : On constate que le cover à encore été fait par Aurel, il y a une collaboration depuis quelques albums déjà, peux-tu m’en parler ?

T : Aurel c’est un dessinateur, un graphiste, un artiste quoi. Il fait de la bande dessinée et beaucoup de dessins immédiats, de dessins politiques, de dessins de presse. C’est un chourm, un type qu’on connaît bien. On aime travailler avec des gens qui sont sur le même chemin que nous, ça nous permet d’avoir un dialogue avec eux, de rectifier les choses.

HL : Comme dans tous les albums de Massilia, le patois est omniprésent, mais on peut constater que c’est plutôt ta touche Tatou, un peu ce qui te caractérise, pourquoi ?

T : J’aurai préféré que ce soit les autres qui répondent à cette question. Je pense que c’est dû à ma position particulière de pas marseillais, de mec qui vient d’ailleurs. Mon besoin d’intégration à Marseille a fait que je suis passé par le provençal.
C’est avec le recul que tu t’aperçois de la culture locale : même chez les occitanistes que je connais, c’est toujours quand les mecs sont allés à Paris qu’ils se sont intéressés à chez eux.
Après c’est difficile à expliquer, mais je préfère chanter en occitan parce que je trouve que ça collectivise mon chant. Notre vie, elle est bilingue, donc le français a autant d’importance que le patois. J’aurai pu écrire ‘Oai et Libertat’ en Occitan, pourquoi je l’ai écrit en français ? Parce que c’était mieux en français, et que par exemple ‘Laissa nos passar’ était mieux en occitan.

HL : Le nouvel album reçoit un très bon accueil, vous êtes 2ème des ventes fnac dans la catégorie rock, qu’est-ce que ça vous fait ?

T : Ben c’est pas une surprise non plus. Je pense que le fait de vouloir constamment être un groupe folklorique fait que tu deviens un groupe folklorique. Moi ce qui m’a toujours fait délirer, c’est le nombre de gens qui connaissent les lyrics de Massilia, qui connaissent 10 chansons, 15 chansons par coeur. Ca veut dire que tu t’es inscrit dans l’histoire. Les mecs qui vont puiser à l’école de Massilia pour faire leur trucs, faut que la pédagogie de l’école Massilia elle corresponde au monde moderne. Sur Occitanista elle correspondait à 2003, maintenant il faut qu’elle correspond à 2007. Je pense qu’on échappe aux modes, au fait que ce soit nouveau.

HL : Tu as parlé de référence, mais vous avez aussi des engagements. Est-ce que tu penses que le fait d’être une référence peut inciter les gens à s’investir un peu plus.

T : Je parle pas de référence en me bombant le torse, je le constate. On est dans une situation où les gens sont perdus. Alors tu as la tentation d’aller vers des trucs très radicaux. Concrètement pour les jeunes occitans, c’est la tentation d’aller vers un rejet total de la France. Quelque part, on est là pour dire que la ligne ce n’est pas de fonder un autre nationalisme contre le premier, c’est de dire ce que dit Felix Castan : « on est pas le produit de là où on est né, on est le produit de ce qu’on y fait« , on est ouverts.
Je pense que les gens nous écoutent là dessus. Mais c’est aussi parce que je suis à chaque conseil d’administration de la Chourm et qu’on est à l’écoute des « vous devriez dire ça« , « vous devriez faire ça« . Pour résumer je pense que y’a beaucoup de gens à qui le nouveau Massilia fait du bien, je peux pas l’expliquer.

HL : Vous avez fait un petit cadeau aux internautes sur votre myspace : vous avez mis en ligne avant la sortie de l’album un premier titre « Massilia fai avant », ça c’est nouveau aussi ?

T : On a toujours estimé qu’il n’y avait pas de rapport entre le commerce, la vente des disques, les passages de morceau à la radio, les concerts d’un côté et la culture de l’autre. D’un côté on a un rapport au porte-monnaie, de l’autre non. Internet te permet quelque part d’échapper au domaine du porte monnaie. Après c’est certain que ça rentre toujours en contradiction avec la façon dont ça fonctionne. Un groupe aujourd’hui s’il veut gagner sa vie, faut qu’il ait des droits d’auteur, faut qu’il vende des disques, faut qu’il fasse des concerts. On est tout le temps dans cette contradiction, donc dès qu’on peut donner et qu’on peut échapper à ça, on le fait, et même notre position sur le piratage est comme ça. Effectivement ça pompe des sous dans notre porte monnaie, mais c’est pas pour autant que ça appauvrit notre culture.

HL : Massilia, c’est aussi un collectif dont découlent trois groupes. Est-ce que Oaistar, Moussu T & Soleil FX ont influencé votre façon de faire l’album, est-ce que ça a changé quelque chose ?

T : Ca a changé dans le sens où tu n’as pas besoin d’aller faire des choses que t’as déja faites dans les autres groupes. Tu peux pas étirer Massilia à l’infini, au bout d’un moment tu as besoin de créer autre chose pour aller sur les marges, voir ce qu’il se passe. En ce sens, je pense que y’aurait pas eu ces trois groupes, y’aurait pas eu Massilia. Ca a aidé, et je pense même que ça a élargi le public. Parce que l’extrême du public de Moussu T qui vient pour la chanson que tu écoutes assis, et l’extrême du public de Oaistar qui vient pour le pogo, finalement ils se retrouvent dans Massilia. C’est un élargissement du domaine plus qu’une division. C’est aussi un besoin de se mettre en danger, ca nous rajeunit.

HL : Massilia c’est aussi et avant tout un groupe de scène. Alors comment ca se prépare un concert de Massilia, combien de temps ça prend ?

T : Ca fait longtemps qu’on travaille et qu’on tourne. Là par exemple on a fait deux périodes de quatre jours  où on s’est mis en situation scénique et on a expérimenté : dans quel ordre on va mettre les chansons, cette chanson qui a été faite de tel façon sur le disque comment elle va être réalisée sur scène… On a fait une intro qui est un pur truc de mixage, on peut pas le reproduire humainement, comment on va faire pour que ça passe bien ?
On a aussi la chance de travailler avec des techniciens qui sont dédiés à Massilia, et on les a toujours considérés comme des membres du groupe. Notre éclairagiste travaille que pour Massilia et Moussu T, en même temps que je compose les morceaux, il est déja en train de composer la lumière. Ca donne une créativité dont on a besoin car on n’est jamais devant la scène. La barrière ultime elle est là : je verrai jamais un concert de Massilia Sound System. Donc j’ai besoin d’avoir une confiance absolue dans les types qui retranscrivent ce que je suis en train de faire.

HL : Pourquoi sur cette tournée vous avez fait le choix d’un minimum de musiciens ?

T : On n’a pas supprimé de musiciens, on en avait rajouté qu’on a enlevé. On l’avait fait parce que Massilia tournait dans la Comédia Provençala, et jouait son répertoire sans s’engager sur des nouveautés. Là on est tout simplement revenu à ce qu’est Massilia. Je pense que la machine est un truc fondamental car on vient du sound system. D’ailleurs si tu regardes bien, tous les projets qui sont nés de Massilia ont conservé une partie machine dans le spectacle.

HL : Dans le cadre de votre association « la chourm », vous vous produisez au Balthazar qui a une toute petite capacité d’accueil. Et ensuite vous faite des dates comme la Fiesta des Suds qui accueille plus de 6000 personnes. Ca vous fait pas bizarre ce contraste ?

T : Ce qu’on porte après devant du monde, on l’experimente avec la Chourm. C’est nécessaire. Je pense que tu peux pas être un groupe populaire si tu n’as pas une réelle dimension populaire. Il faut qu’il y ait cette confrontation avec les gens. C’est pas contradictoire : tu puises dans la Chourm, et ce que tu puises tu l’amènes à 10 000 personnes en essayant de garder la même attitude.

HL : Sur scène, vous mettez le Oai partout, il y a toujours une ambiance énorme. Mais vous : est-ce que ça vous arrive encore d’avoir le stress avant de monter sur scène ?

T : Tout le temps. On est tout le temps malades : rhume, mal aux dents, toutes les maladies possibles. Je pense que pour un joueur de foot c’est pareil : quand il rentre sur le terrain, même si ça fait 10 ans qu’il est en division 1, il flippe.
Ca te remet toujours en question. Tu proposes un truc qui sort du fin fond de ta tête à des gens, donc t’es toujours un peu comme à la vieille d’un examen, c’est normal. Je dirai même que si t’as pas le trac il faut commencer à te poser des questions.

HL : Et si on vous propose d’aller chanter sur TF1, vous accepteriez ?

T : A priori pourquoi pas, tout dépend ! Moi je crois que quand on chante Massilia on est blindés. Même sur TF1, t’as le truc de Massilia qui passe, au dessus de la pébronerie, de la connerie de l’endroit où tu es quoi. Après est-ce que moi j’aurai envie de le faire, j’en sais rien, pour l’instant ils ne nous ont pas proposé, donc la question n’est pas posée.

Interview réalisée par Aurore

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