Bonjour Eric, merci pour cette interview !
HexaLive a eu une première période d’existence en 2006-2009. A cette époque, nous t’avions écouté et vu dans le groupe « La Blanche » . Par exemple à la Flèche d’Or (un soir où jouait R.Wan aussi si mes souvenirs sont exacts) et au travers des albums « Michel Rocard » et « Disque d’Or » .
Nous avons relancé la machine HexaLive en avril 2023, je vois qu’il y a eu beaucoup de changements de ton côté. Nous allons donc essayer de retracer tout cela.
Reprenons donc déjà là où nous nous sommes arrêtés.
La Blanche
Quel bilan tires-tu de l’aventure La Blanche, et comment s’est-elle déroulée de ton point de vue ?
Le bilan est bon. J’ai fait ce que j’avais à faire puis je suis passé à autre chose. La musique ne m’intéressait plus vraiment. Enfin, pas la musique en elle-même mais le fait d’être musicien et chanteur. Ça ne m’intéressait plus. Ça tournait en rond. Aujourd’hui, j’ai du mal à imaginer si j’avais été musicien toute ma vie. Je me serais ennuyé, je pense. C’était exigu, comme monde.
Comment s’est terminée cette expérience, je n’ai pas trouvé de successeur à l’album « Imbécile Heureux » sorti en 2009 ?
Elle s’est terminée avec du journalisme. Je suis passé à autre chose. J’avais besoin de m’enrichir intellectuellement.
Est-ce que depuis ce moment là tu es retourné à la piscine ?
Non jamais. Plutôt mourir. (Rires)
Où étais-tu dans la nuit du 5 au 6 décembre 2017 (non, ce n’est pas une garde à vue) ? J’ai pensé à toi à ce moment-là. Je me demandais comment tu appréhendais l’évènement forcément prédictif dont tu parlais dans « La mort à Johnny » (que j’ai réécouté plusieurs fois du coup à ce moment-là) ?
J’étais un peu déçu que la prédiction dans ma chanson ne se réalise pas complètement. Dans le texte, une bousculade mortelle était prévue et ses victimes rejoignaient Johnny « pour un concert au paradis » (je m’étais inspiré des funérailles de Staline). Bon, heureusement que ça ne s’est pas passé comme ça, en fait. Je ne souhaite pas la mort des fans de Johnny et puis ça m’aurait drôlement inquiété d’avoir des capacités à prédire l’avenir. (sourire)
Eric la Blanche
Les cons osent tout, les connards (ce n’est pas la même chose, on l’apprend dans le livre) ne s’excusent jamais. On a tous une (ok, plusieurs) personne, ou une (ok, plusieurs aussi) situation en tête lorsqu’on lit « Le connard, enjeux et perspectives« . Ce qui prouve que le livre tape juste. Quelle a été ta démarche pour cet essai, et pour cette analyse fine et très détaillée que tu livres ?
Ouah ! Je vais essayer de faire court. Cela fait des années que je cherche à comprendre la mécanique des gens qui n’ont pas de scrupules. Qu’est-ce qui fait qu’un politique, un voyou, un comédien… vont se mettre à se comporter de façon antisociale ? J’ai tourné longtemps autour du pot et puis un jour, il me semble que j’ai trouvé le pattern, le motif de base. Celui qui est commun au petit connard comme au criminel de guerre. Qu’est-ce qui fait que certains se permettent de… de faire le mal ? (cette formulation est naïve mais je n’en ai pas de meilleure). Alors j’ai écrit cette essai sur les comportements des connards et je crois avoir fait remonter pas mal de choses troublantes de mon enquête. (sourire)
Tu en as rencontré beaucoup dans le milieu de la musique ? C’est un terrain fertile (non, pas forcément besoin de noms, après si tu insistes…) ?
Non, pas trop. Moins que dans le milieu de la comédie, en tout cas ! La musique en groupe est assez naturellement anti-connard. Il faut jouer en harmonie avec les autres, respecter le rythme, répéter beaucoup. Ça immunise un peu. Pas beaucoup, mais un peu. On ne peut pas la jouer trop perso.
Avec la Blanche, les textes étaient très travaillés. C’était beaucoup de tranches de vie, d’univers variés, de personnages. En tant qu’auteur, tu parles beaucoup de phénomènes et d’enjeux de société (« Colère« , « Si les hommes avaient leurs règles« …). Comment s’est faite cette transition ? Est-ce que c’était une volonté de pouvoir développer des thématiques particulières dans d’autres formats ?
J’étais extrêmement intéressé par la dimension politique de la musique, sa capacité à faire changer les choses. Sauf que ça, c’était dans les années 60. Mais surtout, j’avais envie d’aller plus loin et d’aborder des sujets sérieux… sérieusement. Un texte de chanson, c’est très bien mais, quand vous avez envie de traiter un thème en profondeur, ce n’est pas le meilleur format. Par ailleurs, je ne sais pas s’il y a vraiment eu une transition, dans mon cas. Ça ne m’intéressait plus assez, je suis passé à autre chose, pas besoin de transition pour ça.
Les thèmes que tu abordes sont d’actualité, et souvent très politiques. Est-ce que c’est une évolution qui te tenterait, à laquelle tu as déjà réfléchi, de porter ces thématiques à un niveau politique (terrain particulièrement fertile au type de personnes susnommé quelques questions plus haut) ? Ou est-ce que tu penses que ce n’est pas au niveau politique que ces thématiques ont une chance d’évoluer ?
Faire de la politique ? C’est en écrivant des livres que je fais de la politique et ça me suffit amplement. Je n’aime pas les réunions alors faire de la politique ! (sourire)
Tu interviens beaucoup sur l’écologie et l’égalité des droits, comment vois-tu les choses ? Es tu optimiste (via les pistes données par exemple dans « C’était caché » ), combattant (à l’image de « Colère » ), ou résigné sur la question ?
Je ne « vois » pas les choses. Les choses sont. 90% des scientifiques spécialistes du sujet sont pendus à la sonnette d’alarme donc nos points de vue – pardon – n’ont aucune importance. Notre problème principal, c’est que nous vivons dans un monde parallèle où les choses ne sont pas à leur place : on parle croissance, emploi, compétitivité alors que ce sont des sujets de second ordre.
Le risque, c’est qu’on soit en train de filer vers une planète barbecue et qu’une grande partie de la surface terrestre sorte de la niche écologique des humains. Ma position, c’est que si nous étions dans un match de foot, on pourrait considérer qu’il y a 10 à 0 à 2mn avant la fin du match. Que faire ? Essayer de mettre au moins un but. Sauver l’honneur. Donc ni résigné ni optimiste. Tout le monde cite une phrase de Gramsci sur l’optimisme à ce sujet en ce moment alors je ne le ferai pas (sourire).
Et la musique dans tout ça ?
Pour en revenir à la musique, est-ce qu’il y a des artistes de la scène française qui t’ont touché récemment ? Est-ce que tu continues à suivre ce qu’il se passe ?
Non, pas vraiment. J’ai l’impression d’être Charlot dans les Temps Modernes. La machine va trop vite. Je suis submergé. Je préfère écouter les oiseaux.
D’ailleurs, est-ce que tu as un style de prédilection dans la musique ? Est-ce que tu es touché par les chansons à texte, ou par d’autres styles complètement différents ?
Non, je suis devenu un peu monomaniaque. Je ne lis plus que des essais. De la psycho, de la socio, de l’histoire, de l’économie, de l’anthropologie, des sciences. Presque plus de romans. J’ai trouvé mon vice : la connaissance (et les sciences humaines). Il est insatiable alors je me bourre. J’aurais pu tomber plus mal. (sourire)
Enfin, dernière question. Est-ce que la scène de ne manque pas trop ? Tu as toujours quelques projets dans la musique, ou c’est définitivement une page qui s’est refermée ?
C’est une page que j’ai refermée, oui. Mais je n’en ai pas fini avec la scène : je commence à donner des conférences sur les biais cognitifs. C’est rigolo.
Merci Eric pour cette interview !
Arnaud Guignant
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