Bleu Satellite

Sohée, on s’est rencontré à La Cigale le 22 octobre dernier [NDR : 2024] alors que Bleu Satellite ouvrait la soirée pour FFF. Et quelle première partie ! Le public qui vous a découvert sur le moment vous a très bien accueillis et… adoptés !
Comment as-tu vécu ce moment ?
Alors c’est marrant car c’est un souvenir qui s’étend sur plusieurs jours. Il y a le “avant” qui est plein de stress, de doutes, d’angoisses, de “mais qu’est-ce que je fais là ? C’est La Cigale ! C’est une énorme date ! Une grande salle mythique !” durant lequel tu as envie de disparaître dans un trou.
Il y a le moment sur scène où tu oublies tous tes doutes, tu prends l’énergie que te donnent les gens… Et j’ai eu beaucoup de chance car je ne t’apprends rien en te disant que, en général, la première partie, les gens la subissent un peu et attendent juste que l’artiste principal arrive… Donc là j’ai eu beaucoup de chance parce qu’il y avait une vraie synergie avec le public : ils m’ont vachement portée, donné de la force et de l’amour – je n’ai jamais ressenti ça. Je n’ai pas encore fait beaucoup de dates et c’est la première fois que j’ai vraiment senti que j’étais à ma place ! C’est ce soir-là, à ce moment sur scène que je me suis dit : il faut vraiment que je fasse ça de ma vie, je suis faite pour ça, c’est chez moi, je suis bien !
Et il y a le “après”, où là, pour le coup, tu redescends et tu te dis qu’en fait c’était trop court ! Beaucoup trop court ! Une première partie ne suffit absolument pas ! J’avais tellement envie de raconter bien d’autres choses. Et, évidemment, ça m’a juste donné envie d’en refaire, quoi !

Ni chanteuse, ni musicienne
mais raconteuse d’histoires…

Piano, guitare, chant… Te considères-tu musicienne qui chante ou chanteuse qui sait jouer de la musique ou encore artiste entière ?
Alors c’est marrant cette question parce que je ne me considère ni chanteuse ni musicienne mais plutôt créatrice. Car je n’ai pas une voix particulière de chanteuse, je ne joue pas d’instrument comme les plus grands virtuoses. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le lien entre les deux, c’est créer la synergie entre les deux qui crée une chanson. Je suis une raconteuse d’histoires. Je cherche à assembler tous les éléments pour servir la narration au final.

Tiens, ajoutons un instrument. De quel autre instrument voudrais-tu jouer, là, sur un claquement de doigts ?
Hum c’est assez évident : j’aimerais trop jouer du violon, moi. C’est très lié à mon appétence pour le cinéma, la musique de film. Je n’ai jamais autant ressenti d’émotions et n’ai jamais autant vibré qu’en écoutant des musiques de film. Hans Zimmer, Steve Jablonsky, James Horner, James Newton Howard, Danny Elfman… Je suis fan ! Et je trouve que notamment  le violon se passe de fioriture et peut raconter des histoires, créer des émotions et  accompagner des images. C’est comme ça d’ailleurs que je compose : avec des images. J’observe beaucoup les gens, c’est ma façon de créer. Et, justement, avec un violon, tu peux pleurer, tu peux rire, tu peux sautiller, tu peux… je trouve que c’est un fil narratif que j’aurais vraiment adoré exploiter. Mais c’est aussi l’un des instruments les plus difficiles ! (lol)
Moi, s’il ne fallait retenir qu’un seul violoniste, je dirais Nigel Kennedy, le violoniste punk comme on l’a surnommé. Tu le connais ?
Oh oui, bien sûr ! Tellement habité lors de ses prestations ! C’est exactement ainsi que j’aurais aimé être en tant que violoniste…

Et donc auteure, compositrice, directrice artistique, réalisatrice… J’en oublie ?
Euh… oui !! (lol) Car je suis comédienne, aussi, au départ ! J’ai commencé par la comédie quand j’avais neuf ans, jouant dans un film. On peut dire que je suis cohérente car rien de mieux que d’incarner un personnage pour raconter des histoires… J’ai incarné plusieurs personnages au cours de ma petite carrière – car j’ai fait également de la télé – et ça ouvre totalement ton esprit. Je ne reste pas dans mon petit quotidien, dans mes urgences, mes priorités…
Le fait de toucher des tranches de vies différentes, des humanités différentes, tu te dis que tu es toute petite là-dedans et ça nourrit vachement l’imaginaire ! Je ne peux pas parler que de moi et de mes petits problèmes : j’ai envie de parler de ce que j’ai vu, de ce que j’ai vécu, des rencontres que j’ai faites. Je trouve que le métier de comédienne nourrit vachement mon métier de musicienne et d’artiste au final.

J’ai découvert tes clips : Inmena et Bodlanmè, notamment.
Quel est ton meilleur souvenir de réalisatrice ?
Écoute, c’est marrant car j’ai réalisé tous les clips que j’ai fait. Je crois que j’en ai fait en tout… deux, trois, quatre… J’en ai fait quatre. Je les ai tous réalisés mais il y a un petit côté frustrant parce que, étant le personnage principal, je ne peux pas être derrière la caméra.
Donc je dirais que les meilleurs souvenirs de réalisation sont de mon activité principale qui est réalisatrice de documentaires. C’est mon métier au départ. Et notamment sur le dernier que j’ai fait : sur la prostitution en Martinique – puisque je suis martiniquaise – et ce sujet me tient à cœur car m’ayant permis de me rapprocher de mon île et rencontrer, encore une fois, des humanités auxquelles je n’aurais jamais eu accès en temps normal… Et de pouvoir m’imprégner de leur histoire, de leur vécu, de leurs luttes et… témoigner de leur résilience tellement incroyable. Car tu te rends compte qu’il y a tellement d’autres choses que ce que tu vis, il y a tellement d’autres champs des possibles.
Je relativise beaucoup grâce à ces expériences. J’essaie donc de faire passer ça dans ma musique : faire comprendre aux gens qu’on est pas seuls, que la compassion et l’amour des autres sont le principal.
Et, encore une fois, c’est marrant parce que les trois corps de métiers : comédienne, réalisatrice de documentaires et musiciennes sont totalement corrélés et se nourrissent les uns des autres et me permettent donc de raconter des histoires en voulant toucher le plus de gens possible. 

Je ne veux pas qualifier ma musique…

Justement, revenons à la musique ! Sohée, on a un gros sujet : c’est qualifier TA musique. On attaque ? Comment vas-tu t’en sortir ?
Et bien je me demande en fait pourquoi… C’est quoi ce besoin absolu de qualifier la musique ? Je me mets dans le lot de la pop alternative parce que c’est vaste mais je ne sais en fait pas pourquoi je dois absolument qualifier ma musique car ça voudrait dire que, en tant qu’artiste, tu saurais tout de suite ce que tu vas faire. Et il n’y aurait donc pas cette notion de recherche, de doutes, de remises en question, d’exploration… Moi, je suis une exploratrice de la musique. Il me semble très important de montrer le processus de création : l’artiste doute, emprunte des chemins, recule, en emprunte d’autres… C’est la création de l’identité. Je ne veux pas qualifier ma musique car j’ai encore tellement de choses à découvrir. Quand j’aurai soixante ans, peut-être… Pour l’instant, je suis très bien dans mon exploration.
D’accord, je te le concède MAIS on va devoir poser ton prochain EP dans un bac ! Dans quel bac va-t-on le poser ?
Et bien, écoute, on verra ce qu’il nous dit, cet EP. Ça va se dessiner au fur et à mesure. J’ai même hâte de savoir ce que l’avenir me réserve mais, pour l’instant, j’attends, je regarde, j’observe.

Quelles sont les échéances, d’ailleurs, en matière de sorties d’EP ?
Alors le premier EP va sortir en janvier. C’est l’EP de l’exploration et j’assume complètement que c’est l’EP d’une artiste qui se cherche sans se fixer de limite. Et l’EP suivant est espéré pour l’été prochain et là, mon travail aura été d’écrire le plus de chansons possibles et découvrir ce qui s’en dégage.

Le fil conducteur est le texte…

Effleurant la question de la construction de l’artiste, où en es-tu, toi, de tes métamorphoses ?
J’essaie d’allier l’image que j’ai dans les réseaux sociaux avec la personne que je suis sur scène : les deux sont moi mais totalement différents en termes d’énergie. Le but du prochain EP et de mes pérégrinations identitaires est d’allier ces deux aspects de moi-même. Et je pense que le fil conducteur est le texte. Je trouve qu’on ne prête pas assez attention au texte, aux propos de l’artiste du fait qu’il y a beaucoup de choses autours – les rythmes, les instruments. Je pense que je dois me concentrer sur comment les gens peuvent écouter mes textes et les recevoir le mieux possible.

Et, si on se projette, à quoi ressemblera Bleu Satellite en tant qu’artiste aboutie ?
Tu commences à me connaître un petit peu : pour moi, un artiste ne doit pas être abouti. Un artiste abouti doit être très ennuyeux. Je serai aboutie quand je serai morte, en fait ! Je compte apprendre jusqu’à ma dernière seconde, mon dernier moment sur scène. je ne pense pas être une artiste sujette… destinée à être une popstar très connue et faisant des grandes salles lors de tournées internationales. Non, je pense que j’aurai mon public me suivant dans mes petites errances, mes pérégrinations musicales et que j’aurai toujours quelque chose à raconter. 

Les deux questions suivantes sont empruntées à Sophie Calle et son fameux questionnaire :
A quoi te sert l’art ?
Plein de choses ! Encore une fois à raconter des histoires. A sortir les gens de leur quotidien. Leur faire découvrir autre chose. A créer des émotions ! Je suis quelqu’un qui ne pleure jamais, toujours dans le contrôle de mes émotions mais il suffit que tu mettes une musique, une chanson, un accord un peu dissonant pour que je lâche les vannes. Et je sais que je ne suis pas la seule dans ce cas-là. 
Surtout, l’art me sert à traduire mon intériorité et la partager avec les autres. 

Pour ma part, j’ai bien une dizaine de musiques qui me tirent les larmes instantanément. Saurais-tu me citer une des tiennes au débotté ?
Il y en a tellement… Alors disons la plus récente : une musique de film, toujours. C’est Central Park de James Newton Howard pour le film King Kong. Rien à voir avec le film, hein, mais c’est la musique qui accompagne la mort de King Kong, une musique qui est juste d’une simplicité monstre que je ne peux pas écouter sans pleurer ! Je ne saurais pas me l’expliquer.
Une autre : Earth Song de Mickael Jackson. A la fin, quand il y a le gospel et qu’il répond au gospel… Holala j’en ai des frissons !! Cette chanson me rend tellement dingue. Je la vis tellement en moi. Dès qu’elle passe, n’importe où, je m’arrête, je l’écoute, je suis à fond dedans. Il y a des choses comme ça… Tu ne peux pas expliquer.

Tout le monde a le potentiel d’être artiste…

Penses-tu que tout le monde puisse être artiste ?
Oui, je pense que tout le monde a le potentiel d’être artiste. Tout le monde a un imaginaire. Si tu rêves, tu peux être artiste. Simplement, la majorité ne se donne pas les moyens de l’être parce qu’ils ont d’autres priorités, d’autres urgences de survie. Aujourd’hui, dans notre société, on survit plus qu’on ne vit. Les gens n’ont pas le temps d’être artistes. Moi, j’ai la chance de m’octroyer ce temps et c’est un privilège.

Maintenant que tu as du vécu, qu’à trente ans passés, tu es une daronne [NRD : clin d’oeil à une des stories Instagram de Bleu Satellite], avec le recul, quel conseil donnerais-tu à Sohée du passé, quand tu débutais la musique ?
Même si je suis une daronne, je considère que je débute dans la musique ! Je ne suis qu’au début de quelque chose et le conseil que je me donne tous les jours c’est d’arrêter d’essayer de plaire aux gens, de s’écouter et de se faire confiance. Continuer de cultiver mon particularisme. 

Enfin, vers laquelle de tes connaissances artistiques envoies-tu Hexalive pour une prochaine interview ?
Très naturellement vers deux personnes :
Rodrigo, déjà [NDR : musicien qui accompagne actuellement Bleu Satellite] parce qu’il est incroyable de virtuosité. Il sait tout faire ! Il est curieux de tout. C’est un nerd de la musique ! Il a fait tant de choses. Il est fascinant.
Et Matild ! Elle est folle, drôle, très drôle. Elle est solaire ! Et elle a un propos.

Alors voilà ! Tout est toujours une question de rencontre. Et croiser le chemin d’un artiste émergent, s’y intéresser instinctivement puis suivre son développement, son envol, ses métamorphoses successives parfois, ses révélations, bref son histoire au fil de l’eau, est un vrai privilège à mon sens. Ca m’est arrivé quelques jouissives fois (souvenez-vous : l’interview de Shaka Ponk en 2004). Et, Bleu Satellite, Sohée pour ne pas la nommer, a un bel avenir selon l’expression consacrée. Sensible, (très) capable et ouverte au monde, Bleu Satellite promet de nous en raconter ! Vous la découvrez peut-être aujourd’hui. Vous la redécouvrez peut-être aussi. Dans tous les cas, vous voilà affranchis ! Vous ne pourrez pas nier. Il ne reste qu’à laisser venir et être à l’écoute… à son écoute. Rdv début 2025 pour le premier EP et directement demain, jeudi 14 novembre, pour découvrir le nouveau single intitulé Meuf !

Pour rappel, Hexalive était présent le 22 octobre 2024 à La Cigale pour FFF et donc Bleu Satellite avec les excellentes photos de Punky Photographe (instagram).

Nota Bene : nous avons évoqué plus haut Nigel Kennedy aussi, sachant que notre rédac’ chef me permettra exceptionnellement cette liberté, je place ici un moment d’anthologie : rendez-vous notamment à 3:13 du chapitre Hiver des Quatre Saisons de Vivaldi pour constater la complicité de l’espiègle violoniste punk avec ses équipiers (improvisant l’ajout d’une transition un rien bluesy) ! … puis la pièce Largo Winter servie ici avec cette liberté désormais légendaire tant dans le rythme que dans l’ajout de ce que je suis tenté de nommer des enluminures en début ou fin de phrasés… Une larme de bonheur.

Interview réalisée par Stedim (instagram)

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