Aaron

AaRON et moi, c’est une histoire d’amour musicale qui a maintenant un an. Comme beaucoup, j’ai découvert le duo à l’occasion de la sortie du film Je vais bien ne t’en fais pas, et comme beaucoup j’ai été instantanément séduite. Je me revois encore, au moment de la sortie de l’album, parcourir les rues de Paris en hiver, Endless song, Le tunnel d’or ou Angel Dust dans les oreilles. Rencontrer des artistes que l’on apprécie, c’est toujours complexe, il y a toujours la crainte d’être déçue. Dans un café de Pigalle, lieu de notre rencontre, j’ai vite compris que je n’avais rien à craindre…

Hexalive : Votre univers musical est assez sombre, assez mélancolique. Vous présenteriez-vous comme « héritiers » du romantisme noir, des poètes maudits ?

Simon : On ne s’est pas posé la question. On travaille plutôt à l’instinct.
Le romantisme noir, ça me fait penser au gothique et ça, ça ne me parle pas vraiment.
En revanche, le romantisme tout court est un mouvement qui me touche beaucoup. Même si je n’ai pas eu conscience durant l’écriture d’être dans cette veine, je trouve ça plutôt flatteur.

Hexalive : Que se cache-t-il derrière l’acronyme AaRON ?

Simon : La traduction littérale de Artificial animals Riding on Neverlands est « animaux Artificiels qui chevauchent un pays imaginaire ». Par cela, on essaye de s’adresser à la terre d’asile que chacun porte en soi, à savoir le cerveau. Aujourd’hui, les terres les plus sauvages et les moins explorées ne sont plus celles du globe terrestre, ce sont les terres de l’esprit. Lorsque l’on a le courage de s’y plonger, on peut y trouver de jolis trésors. Cet acronyme au fond il veut dire « Bienvenue à Neverland, faites-y ce que vous voulez ». Ce n’est pas le Neverland de Walt Disney mais plutôt celui de James Matthew Barrie (Ndlr : L’écrivain qui créa le personnage de Peter Pan), quelque chose de beaucoup plus âpre et acide, un monde pas forcément édulcoré. En grandissant, voire en vieillissant, les gens entrent dans une logique de travail, de soumission à la société, au quotidien. Il ne faut pourtant pas oublier qu’avant d’être fait de consommation, l’être humain est fait de rêve.

Hexalive : Et comment vous est-il venu ce titre, et toute la réflexion derrière ?

Olivier : On cherchait un titre, un acronyme plutôt, car on avait déjà plusieurs mots. On est allés à une exposition de l’artiste Jean-Michel Basquiat qu’on aime beaucoup tous les deux. Et sur plusieurs de ses toiles se baladaient le prénom « aaron », c’est là que tout s’est emboîté, le titre nous est apparu comme une évidence.

Simon : En plus, Jean-Michel Basquiat a une philosophie vraiment proche de la nôtre, qui est de ne pas forcément écouter les réalités que l’on nous impose. Entendre les autres, qui ne sont pas palpables mais pourtant bien là.

Hexalive : Qui écrit les textes et qui écrit la musique?

Olivier : Simon écrit les textes et on écrit la musique à deux.

Hexalive : L’esthétique de la pochette de l’album est proche de celle d’un tableau. Pourriez-vous l’expliquer un peu ?

Olivier : On voulait que ce soit un monde à part, notre monde. Et la sirène est un peu là comme ambassadrice de cet univers.

Simon : L’idée était de proposer un univers, d’en photographier les portes et de dire « voilà ce qui vous attend, vous êtes les bienvenues ».

Hexalive : La scène, c’est encore relativement neuf pour toi Simon, qu’est-ce que cette nouvelle expérience t’a apportée ?

Simon : Il me faudrait encore un peu de temps pour prendre du recul. En tout cas aujourd’hui, je me sens beaucoup plus libre que lors de notre première date, le 14 mars à Lyon. J’ai appris sur le tas car je n’avais jamais fait ça avant.

Olivier : La scène nous a permis d’explorer de nouveaux terrains. Simon a pu essayer de nouvelles choses au niveau de sa voix par exemple. Et tous les deux, durant les balances, on au tente au niveau composition des choses qui pourront servir pour de prochaines scènes.

Hexalive : Simon tu communiques énormément avec le public entre chaque chanson, pourquoi ce choix ?

Simon : Ce n’était pas planifié, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire, c’est venu naturellement. Et je crois qu’elle est nécessaire cette communication. J’ai besoin de savoir que le public est là, je ne veux pas seulement être en vitrine, je veux qu’on soit ensemble. Et puis la plupart des gens ne parlent pas anglais, donc j’ai parfois envie de leur expliquer nos chansons, pour qu’ils éprouvent avec nous.

Hexalive : Il y a eu une certaine pression médiatique sur vous entre la sortie du titre U-turn (lili) et la sortie de l’album sur lequel on vous attendait au tournant. Comment avez-vous vécu cette pression ?

Olivier : C’est dans ces moments que c’est bien d’être deux, ça permet de tempérer un peu les choses, on ne fait que de la musique au final. Quand la pression est arrivée, l’album était déjà prêt, donc on l’a surtout ressenti durant la préparation de la tournée. Ce qu’on a alors essayé  de faire c’est de prendre autant de plaisir que  lorsque l’on travaillait sur l’album. C’est peut-être un peu égoïste, mais on voulait avant tout que ça nous plaise à nous, et quand on est honnête, on a plus de chance que ça plaise de toute façon.

Simon : Olivier qui avait déjà une expérience scénique m’a beaucoup rassuré. Si on avait tous les deux été novices, ça aurait été vraiment plus dur. Il faut quand même réaliser que quand je suis arrivé sur scène, je ne connaissais aucun terme technique, j’apprends d’ailleurs encore aujourd’hui.

Hexalive : Justement, comment t’es venue cette envie de faire de la musique ?

Simon : J’en avais fait petit, 10 ans de violon. Pourquoi chanter ? Je ne sais pas vraiment. J’ai rencontré Olivier, j’avais envie de travailler avec lui, je ne me suis pas posé de questions. Et puis c’est plus agréable d’entendre ses textes en musique.

Hexalive : Tu écrivais avant ?

Simon : J’ai toujours écrit. Pas forcément des chansons. Des morceaux de phrases, des poèmes qui viennent de rêves faits, je continue encore aujourd’hui.

Hexalive : Et toi Olivier, depuis quand fais-tu de la musique ?

Olivier : J’ai fait du piano pendant une dizaine d’années, de 6 à 16 ans environ. Je suis ensuite passé à la guitare. J’ai toujours fait de la musique. J’ai joué dans divers groupes, j’en ai monté, puis j’ai fait parti de Mass Hysteria, j’ai toujours eu plusieurs projets en même temps en fait.

Hexalive : Et AaRON, c’est un projet parmi d’autres ?

Simon : à la base oui, c’était un projet parmi d’autres. Mais c’est vite devenu une belle priorité pour nous. On ne s’interdit pas pour autant d’aller voir ailleurs, de faire d’autres choses, c’est important d’avoir des antennes un peu partout. Mais AaRON risque de perdurer un certain temps, pourquoi s’arrêter ? C’est cool ce qui nous arrive.

Hexalive : La seule reprise de votre album est une chanson tragique qui parle du lynchage des noirs aux Etats-Unis, Strange Fruit de Billie Holiday. Pourquoi ce choix ? Est-ce que le thème du lynchage est un thème qui vous tient particulièrement à cœur ?

Simon : Ce n’est pas forcément le lynchage mais la non-acceptation qui me fait peur en tant qu’être humain et citoyen. C’est quelque chose d’évident pour moi, cela fait parti de mon éducation : « tout le monde est différent, et c’est cela qui est bien ». Aujourd’hui il n’y a peut-être plus de lynchage, de pendaisons des noirs dans le sud des Etats-Unis, mais l’année dernière, dans le nord de la France, un homosexuel s’est fait brûler vif en pleine rue, c’est insupportable, c’est incompréhensible. S’il y a une force dans l’être humain c’est bien qu’on est tous différents. Cette chanson, c’est bien plus qu’une chanson, c’est un message. Ça devrait presque être un texte de loi, ou qu’on apprend dans les écoles, ce serait légitime. Et sur le plan musical, c’est sublime.

Hexalive : Alors AaRON, artistes engagés ?

Simon : Ce n’est pas forcément un engagement, on voulait montrer nos valeurs. Notre engagement il est dans le fait de traverser des villes et de chanter que l’on n’est pas d’accord avec certaines choses. Peut-être que dans nos concerts il y a des gens qui ne pensent pas comme cela, et j’espère réussir à les convaincre, par la musique. Engagés, oui un minimum, mais c’est une obligation si l’on a un cerveau non ? Il ne faut pas laisser les méchants être les plus virulents.

Hexalive : Y-a-t-il des artistes français avec qui vous aimeriez collaborer ?

Simon : Oui mais pas forcément connus. Vanessa Filho, (NDLR : Artiste, réalisatrice, photographe qui a réalisé le clip Lili, la pochette de l’album et les photos promotionnelles du groupe) elle a une voix sublime donc ce serait bien de travailler musicalement avec elle. Sinon pourquoi pas Camille, Abd al Malik…

Hexalive : Pour le film Je vais bien ne t’en fais, vous aviez proposé vos chansons. Pourriez-vous le faire dans le sens inverse, c’est-à-dire créer la musique d’un film sur commande ?

Simon : Cela pourrait être un projet excitant, c’est complètement différent. Mais c’est un travail que l’on ne connaît pas, si ça se trouve on sera nuls.

Olivier : Et il faut que le film nous parle.

Hexalive : Vous avez eu des propositions ?

Simon : On a eu des propositions. On verra plus tard.

Hexalive : Ma question préférée : quel est le contenu de votre mp3 ?

Simon : Ah ! (Il prend le sien qui est sur la table) Il est tout nouveau donc il n’est pas bien rempli, là j’écoutais Blue Suede Shoes d’Elvis. Sinon, en général, Nina Simone, Jeff Buckley, le dernier album de Feist est excellent aussi. Grand corps malade, Iggy Pop, Jane Birkin, Jimmy Scott, Kanye West, Lily Allen, Leonard Cohen, Liza Minnelli, Luis Armstrong, Maria Callas…je te le fais alphabétiquement! Et toi Olivier ?

Olivier : Moi j’ai 40 gigas, donc si on commence…

Simon : Mais tu écoutes quoi là ?

Olivier : En ce moment, Devendra Banhart, pas mal Feist aussi.

Simon : On a énormément écouté Feist cet été. Son nouvel album est vraiment bien.

Olivier : Je suis dans ma période PJ Harvey aussi en ce moment. Elle ne s’est pas posé de limites, ça se sent dans son dernier album, ce n’est pas un album facile, il faut prendre le temps de rentrer dedans, et on ne prend plus assez le temps de rentrer dans les albums.

Hexalive : Vos projets à venir ?

Simon : La tournée, la préparation de l’Olympia. Partir un petit peu en Europe jouer, en Espagne, en Allemagne…la musique n’a pas de frontières.

Hexalive : Merci à tous les deux pour avoir répondu à toutes mes questions.

Simon : Merci à toi.


Interview réalisée par Melissa

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