14 Juin 2007, Renan Luce s’apprête à faire quelques interviews et à jouer quelques morceaux pour la radio, mais d’abord, dans les locaux de Barclay même, petite interview. Au programme : ses débuts, l’aventure « Repenti », son album, les live et le public qui se forme autour de lui.
HexaLive – Journée chargée … Tu es en promotion en ce moment ?
Renan Luce – Oui, en fait c’est une petite pause dans la tournée qui va reprendre avec les festivals de cet été. J’en profite donc pour rencontrer quelques medias et la presse pour parler un peu de cette belle aventure.
HL – Cet album, c’est pas ta première expérience pro ? Il m’a semblé lire que tu avais déjà participé à un projet il y a quelques années …
RL – Oui c’était un projet de disque à l’époque où j’étais étudiant. On l’avait monté avec des amis pour soutenir un association à Madagascar qui devait monter une école. On avait enregistré deux de mes titres, c’était mon premier passage en studio, beaucoup de bons souvenirs. C’était à l’époque où je faisais des concerts dans de petits lieux, de manière plutôt occasionnelle, dans des bars … J’étais à Toulouse, avant j’avais passé quelques années à Rennes aussi, et j’viens de Morlaix encore plus au nord en Bretagne.
HL – Et c’était comment avec le public à cette époque? Ambiance « petit bar » ou il y avait quelque chose de spécial déjà palpable ?
RL – Non, c’étaient mes amis et les habitués qui venaient. Je partageais le concert en deux : des reprises et des compositions.
HL – Tu viens d’une famille de musiciens ?
RL – Mon frère est musicien , il est pianiste et c’est lui qui a un peu aiguillé mon parcours musical. On a commencé avec ma soeur dans une chorale, donc c’était la première approche de la musique, j’adorais chanter, puis mon frère s’est mis au piano, alors comme on fait quand on est le petit frère, je l’ai un peu suivi. J’en ai fait pas mal d’années, puis j’ai appris le saxophone, mais c’était plutôt la chanson qui me guidait dans la musique, donc dès qu’il y a eu une guitare à la maison, j’ai commencé à gratouiller sur les chansons des autres.
HL – Et puis la guitare c’est légèrement plus adéquat pour chanter que le saxophone …
RL – Déjà ! Puis on pouvait le faire tranquillement dans sa chambre sans que la famille puisse écouter, c’était une démarche personnelle au début, je parlais de mes états d’âme, donc j’avais un peu besoin de le faire … en catimini.
HL – Ça a donc évolué pour donner un album moins personnel, on voit que les scène de fiction sont très présentes sur « Repenti ».
RL – Ouais parce que maintenant, c’est ce que j’aime le plus faire. Remarque, je me rends compte que c’est en train de changer, je me remets à écrire en ce moment et j’aimerais bien essayer d’aborder les choses de manière plus personnelle, mais c’est vrai que pour le moment, j’aime bien cette dimension de fiction, me sentir un peu conteur quand je chante. J’aime bien faire travailler mon imagination, avoir une vague idée de départ et puis me laisser guider au fur et mesure de l’écriture en me laissant happer par les rimes, il y a une sorte de liberté que j’aime bien là dedans.
HL – On dirait un recueil de contes modernes de la vie de tous les jours … ou pas finalement. C’est pas tous les jours qu’on reçoit une lettre d’un parfait inconnu …
RL – J’essaye de ne pas trop être dans le quotidien, justement. J’aime bien, sur un aspect du quotidien, partir dans quelque chose de plus extraordinaire, hop on passe de l’autre côté de la barrière et ça devient un peu fantastique.
HL – Tu as une manière particulière d’écrire tes textes?
RL – J’ai tendance à accorder beaucoup d’importance aux rimes déjà, donc ça guide forcément beaucoup mon écriture, car je suis toujours à la recherche de la meilleure rime, donc ça peut me faire bifurquer vers des chose que j’imaginais pas au début. Et puis je fais attention aux images que j’emploie pour être assez précis, quand je parle d’un personnage, le décrire en quelques mots, qu’on arrive à l’imaginer presque visuellement.
HL – Ça vient avant, après la musique ? En même temps ?
RL – Ça vient dans tous les sens, avant, après, pendant, un petit bout de texte sur lequel je commence à imaginer une mélodie … Je suis un peu sur le modèle du puzzle.
HL – Comment on passe de l’école de commerce à la musique ? Y’a eu un déclic qui t’as donné envie de tout plaquer ?
RL – Quand je faisais mes études je continuais la musique, à chanter, écrire des chansons, y’a eu ce projet de cd pour le Madagascar, y’avait toujours ça dans un coin de ma tête, même plus que dans un coin de ma tête. Après, les études, c’est peut-être un moyen de se rassurer, et puis y’avait des choses qui m’intéressaient … Enfin dans le commerce, pas spécialement, mais dans l’organisation de projets justement, arrivé à Paris j’ai travaillé chez un organisateur de concerts. J’aimais bien l’aspect organisation, travail en équipe, puis y’avait la musique, forcément ça me plaisait d’autant plus.
HL – C’est la musique qui t’as fait venir à Paris ?
RL – C’est peut-être le passage obligé, parce que je voulais travailler dans la musique, avant, tout en me disant qu’à Paris, j’arriverais plus facilement à faire de petits concerts, rencontrer des gens …
HL – Comme c’est légèrement centralisé …
RL – Oui, même s’il y en a qui arrivent très bien à le faire ailleurs. D’une certaine manière, j’avais aussi tous mes amis qui venaient sur Paris, je voulais pas rester seul chez moi, j’avais besoin d’une vie où ça fourmille, j’en avais besoin pour l’inspiration. J’ai écrit pratiquement toutes les chansons de l’album à Paris, j’avais peut-être besoin de cette activité de fourmilière pour m’aider.
HL – Tu trouves ça regrettable ou utile qu’il y ait un endroit spécifique comme Paris, où l’on puisse tout trouver et se faire la plupart de ses contacts ?
RL – J’aurais du mal, pour l’instant, à vivre ailleurs qu’à Paris. Il y a tous ces concerts où tu peux aller le soir, c’est mieux, y’a les bars, la culture, c’est une ville qui me correspond bien,même si parfois j’ai la nostalgie de la Bretagne, de la mer, de la campagne, d’une vie plus lente et plus posée, mais j’y retourne de temps en temps.
HL – T’y as déjà fait des concerts ?
RL – Oui. J’adore, ce sont toujours des concerts un peu particuliers, parce qu’il y’a un ancien prof qui vient me voir, ou des amis que j’avais pas revus depuis longtemps, c’est chaleureux.
HL – Il s’attendaient à ce que t’aie cette carrière, presque fulgurante, ces gens-là qui te connaissaient ?
RL – J’pense pas qu’ils se posaient la question, mais quand j’étais petit, je jouais beaucoup aux fêtes de la musique, fêtes du collège, donc les gens savaient déjà que je faisais de la musique.
HL – Et tu as prévu des festivals cet été en Bretagne ?
RL – On a les ‘Jeudis Du Port’ (1), un beau festival avec une ambiance folle. J’ai hâte d’y retourner. On a un beau programme : Les ’Francofolies’ un festival mythique, là j’ai joué à Montauban pour la deuxième fois.
HL – T’y a eu un prix du public (2) d’ailleurs ?
RL – L’année dernière, c’est un peu ce qui a lancé tout ça. C’était avant la sortie du disque, j’y ai rencontré des programmateurs de salles, ce qui fait que j’ai pu faire beaucoup de concerts. J’en ai fait plus d’une soixantaine depuis septembre, ça a aidé à faire démarrer cette aventure.
HL – L’album et le live sont donc déjà bien rôdés …
RL – On commence à avoir bien pris nos marques, je suis de plus en plus à l’aise et heureux sur scène, j’ai de plus en plus de mal à arrêter, ça devient assez fort.
HL – Quelles étaient les conditions d’enregistrement de l’album ?
RL – J’ai d’abord beaucoup travaillé tout seul chez moi, sur des maquettes, je cherchais des univers sonores, des arrangements. J’ai pas mal travaillé avec mon éditeur dessus, après j’ai rencontré le réalisateur du disque, Jean Louis Piérot (3), on a travaillé sur mes maquettes, on a essayé de peaufiner certaines choses, de voir comment aborder certains titres. Il m’a permis de rencontrer des musiciens, car au début ma démarche était plutôt personnelle. On a travaillé dans deux studios, l’un dans le sud-ouest, où on était en immersion pendant dix jours, ce qui a permis de prendre notre temps, de chercher les sons, les ambiances. C’était pour la partie rythmique guitare-basse-batterie, et tous les instruments additionnels au studio ICP en Belgique, très beau studio, et les voix dans la chambre du réalisateur, car j’avais besoin d’être à la cool, de pouvoir prendre mon temps, le faire autant de fois que je pouvais. Je jouais de la guitare acoustique et j’ai fait appel à des gens dont l’approche du son correspondait à ce que je voulais, sensibles, je voulais des gens techniques avec aussi une approche artisanale du son. Le batteur, par exemple : il aime bien fabriquer ses percussions lui-même pour avoir une gamme de sons assez large, c’est ça que j’aime bien.
HL – C’est la même équipe que pour le live ?
RL – Non, elle est tout aussi bien, je ne les connaissais pas non plus. C’est une belle rencontre aussi, on forme une belle famille, avec eux, les trois techniciens avec nous dans le camion, c’est une ambiance familiale sur la route.
HL – Et avec soixante dates à votre actif, vous avez pu apprendre à vous connaître musicalement …
RL – C’est sûr qu’il a un partage qui est beaucoup plus fort parce qu’on se connaît bien, on maîtrise mieux les morceaux, on peut aussi prendre plus de libertés : on a cherché pas mal de nouvelles idées qui sont pas sur le disque.
HL – Tu cherches à modifier tes live, histoire de donner au public une vision différente de l’album ?
RL – Oui, j’ai réfléchi à ce qu’on peut apporter de plus pour chaque morceau, et puis chaque musicien amène sa manière de jouer, ce qui apporte des sonorités différentes, ça joue beaucoup. Après on cherche à dynamiser tel morceau, je sais pas, faire taper les gens des mains (rires), y’a d’autres morceaux qu’on aborde de manière super intimiste, des chansons que je fais guitare-voix parce que ça s’y prête bien, des idées qui font que le live reste vivant.
HL – Une relecture de l’album en fait ?
RL – Ouais, c’est ça que j’aime bien.
HL – Et ton public ?
RL – J’ai l’impression qu’il est assez large. Y’a quand même une majorité de jeunes, j’irai même jusqu’à dire de jeunes … filles ! Aussi des adultes, des vieux, des enfants … ça plaît bien aux enfants d’ailleurs !
HL – J’ai l’impression que ça rappelle un peu l’univers de Brassens à une certaine génération, par ton côté conteur.
RL – Certainement, c’est quelque chose que j’admire beaucoup chez lui. C’est un des artistes que j’ai le plus écouté, que j’écoute toujours avec plaisir pour sa manière d’écrire, sa poésie, par ce qu’il dégage de gentillesse, de simplicité, de profondeur en même temps.
HL – D’autres artistes français qui t’ont inspirés ?
RL – Plein, pas que français d‘ailleurs. « Influencé » le mot est peut-être fort, mais qui m’ont donné envie de chanter et d’écrire, il y en a beaucoup : Nougaro, Trénet, et sur scène, des gens que j’ai découvert à l’adolescence : Miossec. Il y a Bob Dylan aussi, j’ai toujours été admiratif de la force de son écriture et du caractère un peu roots quand il se présente comme ça, avec sa guitare. J’aime bien la folk, c’est un genre qui va bien à la chanson. la chanson qui naît guitare-voix reste le truc de base et autour, on agrémente. C’est la manière dont j’aime bien aborder les chansons.
HL – Tu te verrais chanter en anglais ?
RL – Je le fais un peu pour des reprises … j’ai pas le meilleur accent du monde, j’me fais plaisir. C’est surtout en live, par exemple à la Cigale, avec Emilie Loizeau, on a chanté une chanson des Beatles « While My Guitar Gently Weeps ». Ce sont des petits plaisir que je me fais.
HL – Tu fais partie d’une certaine famille de la chanson française …
RL – J’aime beaucoup Joseph D’Anvers, Alexis HK… On s’est rencontrés y’a peu de temps, on s’entend très bien, on partage la passion de la scène, nos impression de l’écriture. On est amis. J’ai une relation différente avec chacun, y’a une sorte de simplicité. Ce qui nous rapproche, c’est le sentiment de vivre les mêmes choses, de jouer dans le même genre de salles, on a un public qui souvent se mélange, donc on se sent proches.
HL – Vous vous sentez tous assez présents dans les medias ?
RL – C’est différent de toute une autre tranche de la musique en France, mais j’ai pas l’impression non plus d’être brimé. C’est vrai qu’on est pas beaucoup joués à la radio, c’est le truc le plus difficile parce qu’on sait tous que c’est le nerf de la guerre pour se faire connaître, on est peut être pas dans la bonne case pour les radios grande écoute. Mais j’ai eu des soutiens comme celui de France Inter, qui est là depuis le début, qui me permet d’être écouté, d’avoir un public, de jouer toujours dans des salles pleines donc ça va, je me plains pas.
HL – Et puis il y a Internet aussi !
RL – Oui Internet qui a pris le relais pour pas mal de gens, pour découvrir des choses qu’ils n’entendent pas à la radio parce qu’il y a des media comme MySpace, comme une espèce de toile d’araignée. Je mettais mes maquettes en ligne, ça m’a beaucoup aidé, MySpace a pris le relais, ça a amplifié tout ça, avec le bouche à oreille.
HL – Ça aide à avoir un retour du public …
RL – Ouais ça c’est tout nouveau ! Dès la fin d’un concert Je peux voir ce que le public en a pensé, j’ai parfois du mal, parce que ça a un coté un peu impersonnel par rapport aux commentaires de vive voix, mais c’est marrant.
HL – Et la tournée, elle va continuer encore combien de temps ?
RL – Ça fait un an qu’on tourne. On pensait s’arrêter fin décembre prochain, et puis finalement on commence à penser à poursuivre un peu plus loin. Y’a déjà l’Olympia en décembre (4), qui était censé clore la tournée en beauté, si ça se passe bien on continuera.
HL – Tu as déjà commencé à écrire pour un prochain album ?
RL – J’écris toujours, y’a pas vraiment de pause, j’ai pas envie de me sentir pressé par le temps, j’ai envie de pouvoir choisir les chansons qu’il y aura dessus et surtout ne pas avoir de regrets. J’aimerais bien qu’il n’y ait pas trop de pause entre le live et la sortie d’un autre album, j’aimerais bien enchaîner les tournées.
HL – Ça demande du courage !
RL – Oh c’est pas si dur que ça quand même ! Physiquement ça peut parfois être éprouvant, mais on a beaucoup de chance, on est super bien accueillis dans les salles … Faut juste gérer sa fatigue et le stress. Là, par exemple, ça fait deux semaines qu’on s’est arrêtés, et il me tarde déjà de repartir.
HL – Finissons par une question conventionnelle : qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
RL – Que la tournée soit la plus longue possible, pas trop de pannes d’inspiration, plein de rencontres, comme j’ai eu la chance d’en faire jusqu’à présent !
Interview réalisée par Nikolina
(1) Les ‘Jeudi du Port’ festival breton du 12 juillet au 30 août au Port de Commerce www.mairie-brest.fr/kiosque/jeudis_port.htm
(2) Prix des « bravos du public » au Festival de chansons vivantes de Montauban en 2006
(3) Jean-Louis Piérot a travaillé entre autres avec Miossec et Bashung.
(4) concert à l’Olympia le 8 décembre prochain
L’album « Repenti » est sorti en septembre 2006 chez Barclay.