No One Is Innocent, l’interview

A l’occasion de leur passage au Bikini, rencontre avec Kemar de No One is Innocent.


Alors Kemar, le « best of » s’appele « Colères », est-ce que tu es toujours en colère ? Ou est-ce que tu t’es apaisé avec l’âge ?

Forcément, oui, je crois qu’on s’apaise un peu. A mon âge, comme pour les autres, cette colère est différente.
Elle est moins naïve, moins excitée, moins premier degré. Elle est peut-être plus nuancée aussi. Après, ça n’empêche que quand j’ai à dire un truc sur scène, je le dis à ma façon.
Mais dans le quotidien, je pense que oui, on analyse la colère, on défriche.

Tu la canalises un peu maintenant ? 

Elle a pratiquement tout le temps été canalisée. Grâce à la musique qui m’a permis de raconter.

J’ai vu que le motif de l’arrêt de No one, ce serait la fatigue physique...

Oui, c’est beaucoup ça. 

Avec ce que demande un groupe comme No One, tu perds des points de vie.

Un ras-le-bol aussi peut être ?

Peut-être du côté album-tournée, album-tournée, album-tournée.
Et puis, après 30 ans, 10 albums, de se dire qu’on est à un moment de notre carrière où on a envie de faire différemment. 
Prendre, je ne sais pas, peut-être plus le temps. J’en parlais avec mes potes de Zebda, justement de Toulouse, Mouss et Hakim. On pensait pareil. L’idée d’être un petit peu plus rare. Surtout qu’avec ce que demande un groupe comme No One, tu perds des points de vie.
On n’est pas à la mine quand même, c’est pas ça. Mais quand tu joues ces morceaux-là, tu ne peux pas le faire à moitié. Notre décision, ça a été de terminer cette grosse tournée à cheval sur 2025-2026, et après de revenir, mais pas comme avant. 

A ce propos, tu avais déclaré qu’il était envisageable de sortir des titres individuellement.

Oui, c’est vrai.

Pas d’album, que des titres.

Oui, c’est quand tu le ressens, qu’il y a vraiment quelque chose d’important à dire dans le texte, qu’il y a une urgence aussi par rapport à la musique, c’est envisageable.

Plus de cadre disque-tournée, disque-tournée… Mais tu as engagé des musiciens pour remplacer les trois qui sont partis. Pourquoi les avoir embauchés, avoir composé trois, quatre, cinq chansons, et mettre tout ça sur un best of ?  Pourquoi ne pas avoir fait plutôt un album complet ?

Parce que ça demandait trop de temps de faire un album. Et que de toute façon, on avait décidé avec la maison de disque de faire un best-of. Avec Tranber, on avait déjà décidé bien avant de sortir notre dernier support discographique.

No One Is Innocent vient d’un titre de Sex Pistols, on est bien d’accord ? Pourtant, il s’est passé un truc  avec johnny Rotten dans un festival, tu veux revenir dessus, ou tu préfères éviter ?

Non, pas du tout. C’est plutôt drôle comme situation. No One Is Innocent, c’est un morceau que McLaren, leur manager, leur avait demandé de faire avec Ronny Biggs, le mec qui avait fait l’attaque du train postal. Un gangster de chez gangster. 
Et il y a ce morceau :  « No One Is Innocent » qui est sorti. Mais il faut savoir que Johnny Rotten n’a jamais été vraiment en total accord avec McLaren sur ce titre. Avec le recul, il a sans doute regretté d’avoir fait ce morceau. Bref, mauvaise expérience pour lui. 
Et on se retrouve en Bretagne, je ne sais plus sur quel festival. Ils sont programmés le même jour que nous.
A un moment, je sors de la loge, et sur la gauche, je vois une espèce de skinhead sortir de la caravane. Qui est derrière ? Johnny Rotten.  Le mec me voit sortir de la loge avec écrit « No one ». Il me pointe du doigt et m’insulte copieusement : « Hey you, it’s you, no one is innocent, fuck you, no one is innocent, fuck off and fuck you, I am innocent, you know, come on, you hear me, fuck you, no one is innocent, fuck off ! » 

Si tu prends pas au second degré, c’est con

Je ne me débine pas, et je m’avance, mais en lui répondant en français, et en l’insultant aussi. Et l’autre disait : « Come on, speak in English, speak in English ! » , « Je t’emmerde » …
J’y allais. Et lui aussi, d’ailleurs, il se débinait pas.
Au bout d’un moment, les gars du groupe entendent du bruit, ça commence à sortir de la caravane, les gens du festival se rapprochent pour voir ce qu’il se passe. Ça a fini par se séparer.

Après, il y a eu le concert des Pistols, et il nous a copieusement insultés à nouveau sur scène, en demandant au public : « Vous connaissez No One Is Innocent ? », les gens ont répondu, etc. « Fuck off, No One Is Innocent, fuck you », machin.
Nous, on regardait ça sur les écrans, et je te jure, qu’est-ce qu’on rigolait. Il y a cette idée de culture de la provoc chez ce mec-là. Si tu prends pas au second degré, c’est con. En rentrant à Paris, j’ai écrit ce morceau, « Johnny Rotten », et le refrain, il disait : « Johnny Rotten me déteste et j’adore ça ».

D’accord (je rigole). Alors, tu as tourné avec des noms comme Motörhead, Guns N’Roses, ACDC, Les Insus, etc, etc, etc. Tes meilleurs souvenirs et les pires ?

Les meilleurs souvenirs, c’est la tournée de Motörhead. Ah ouais. Sans hésiter. Au bout de deux dates, tout le monde s’observe un peu, les techos, les musiciens, etc.

Et puis après, quand les mecs ont vu ce qu’on faisait sur scène et l’humeur qu’on a essayé de dégager sur cette tournée, c’est parti. Tu vois, il y avait une bienveillance, il y avait de la joie de jouer, il y avait de la joie de partager des trucs.
Phil Campbell venait nous voir sur le côté, tu vois, tous les soirs. Avec le batteur de Motörhead aussi, c’était vraiment smart. Lemmy était fatigué, c’est le seul regret. Il était vraiment, vraiment fatigué.

Au final, je me suis chié dessus : j’ai pas osé.

Le troisième ou quatrième jour, on a eu une petite discussion avec lui dans la loge, c’était assez fun. Et justement, c’est drôle, parce qu’il nous a reparlé de ce truc de  « No One Is Innocent » avec les Pistols. Ça le faisait marrer parce qu’il connaissait l’histoire de ce morceau avec Ronnie Biggs et les Pistols.
Pour l’anecdote, Motörhead, c’est un des trois groupes majeurs qui m’ont donné envie de faire cette zique. J’avais envie de demander à Lemmy de chanter « Metropolis » avec lui. Au final, je me suis chié dessus : j’ai pas osé.
La première fois, là, quand on a discuté avec lui, j’étais tellement impressionné qu’après, je suis pas retourné pour lui demander. Et puis, je sais qu’ils invitent très, très rarement des mecs sur scène avec eux. Mais je sais pas. C’est un rêve de gosse, quoi. Mais bon…..

Et donc, ton pire, ce serait quoi ? 

Pffff, c’est pas le pire, parce que quand même… On a joué devant des gens qui étaient contents qu’on soit là. Mais en terme d’ambiance, les tournées de Guns’n’Roses, ça avait l’air d’être un peu une punition pour tous les Zikos et tous les Tekos qui étaient là. Mais ça nous a pas empêché de nous marrer.

Tu as fait le « US Festival » qui était contre Bush,  « What The Fuck » qui est contre Trump. Vous avez enregistré l’album « Utopia » en Amérique. Si « Utopia » ressortait à l’heure actuelle là, est-ce que tu retournerais là-bas pour l’enregistrer ? 

Non, on en parlait justement récemment. Même en tant que touriste. Il y a des choses à voir aux États-Unis, mais c’est plus devenu une priorité de voyage.
Après, si on me propose d’aller jouer aux États-Unis, de faire de la musique, oui ! 

J’ai toujours dit qu’on n’était pas non plus le supermarché de l’engagement. 

Ça, je peux comprendre.

C’est intéressant que tu parles de ça, parce qu’il y a trois jours, je suis tombé tard le soir sur le discours des 100 jours de Trump. J’étais affligé….. Mais au-delà de ce qu’il raconte, c’est surtout que je le trouvais sénile.  
Il glosait sur quelque chose, et il enchaînait sur Biden. Après, il reparlait d’autre chose, et il revenait encore sur Biden. C’est pas normal, c’est pas travaillé, ça. Et puis, vulgaire, méprisant, c’est de pire en pire.

T’as du matériel pour faire un « What The Fuck 2 » ?

J’ai toujours dit qu’on n’était pas non plus le supermarché de l’engagement. Je me rappelle de tournées, où on vient te voir pour te dire : « ouais, ça serait bien de parler de ça ».
C’est surtout la musique qui drive. Et l’intérêt, c’est de trouver un angle.

« What the fuck », c’est une espèce d’enchaînement de supercherie. Dans l’écriture, il y a un truc très punk. « US Festival », c’était pareil. On va utiliser le vocabulaire de la guerre. Mais l’idée, c’était de donner un côté théâtral à l’intervention américaine. 

Tu l’envisages comment, l’après No One ?

Écoute, très sereinement.. Si j’ai une chose à faire après, ce serait un album en français, à la manière d’un « American Four » de Johnny Cash. C’est-à-dire revenir au blues, un peu arrangé, et puis de raconter des trucs.

Tu as déjà fait un album solo, donc on pourrait revoir le nom de Kemar sur un album ? Et partir en tournée avec ton propre album ?

Je sais pas dans quelle mesure je pourrais partir en tournée avec un truc comme ça. Ou alors, vraiment dans des petites salles, quelque chose d’intime. Le challenge est encore plus dur pour moi.

Parce que ce serait plus personnel ?

Ouais, parce que c’est un autre personnage qui se dévoile, qui est plus au bord du précipice qu’avec No One. 

Une des plus grosses fiertés, c’est d’avoir fait des morceaux intemporels.

Le truc que tu serais le plus fier et le moins fier avec No One ?

Le plus fier, c’est d’avoir porté ce groupe pendant 30 ans. Et de l’avoir amené là où il est. 
Et le pire… Je sais pas.. J’arrive pas à te donner du pire. 

Que du bon, que du bonheur.

Oui, parce que même dans les moments difficiles, il y a toujours du bon. 

Mais il va s’arrêter…..

Oui, mais c’est aussi ça le bon. Après tant d’années, le groupe, il est encore là. Une des plus grosses fiertés, c’est d’avoir fait des morceaux intemporels.
« La Peau », « Revolution.com », « Silencio »… il y a des thématiques de morceaux qui peuvent être joués encore dans dix ans.

Et des morceaux qui étaient prémonitoires : « What the fuck » et « US Festival », tu as prédit ce qui allait se passer, le bordel qu’il y a maintenant. 

Oui, tu pourrais en écrire des tonnes, évidemment. Moi c’est pas tant en terme personnage, mais de thématique que je fonctionne. « Révolution.com », à l’époque… On s’est pas fait que des amis
Ce qui est intéressant, c’est d’aller gratter un truc, dans lequel il y a une espèce de consensus général. Moi, c’est ça qui me plaisait.

T’as prévu une captation spéciale pour le tout dernier concert ou pas du tout ?

Pas forcement, on verra si la maison de disques propose un truc. Ça coûte un bras ce genre de truc.
Que tout le monde garde dans la tête ce qu’il a vécu, rien que cela me ferait plaisir…

JC Rouere (instagram)

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