Chez HexaLive, on aime beaucoup ce Guitarfest !
L’édition 2024 vient d’avoir lieu et nous y étions.
Tout comme nous étions présents pour l’édition 2023.
Pour prolonger le plaisir, on a souhaité lancer une chaîne de questions entre les artistes présents cette année. Quand les artistes s’interrogent mutuellement, il y a des choses à dire et donc à lire !
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Sommaire
Question à…
… Gael LIGER
… Julien BITOUN
… Chloé LEGRAND
… Alice ANIMAL
… Fred PALLEM
Question à Gael Liger
[ Gael LIGER ]
HexaLive : Gael, pourquoi kiffes-tu à ce point les Fender Telecaster’s ?
D’autant que tu sembles aussi aimer tout ce qui a la forme Tele sans pour autant être Fender, hum ??
Longue histoire ! Mon premier prof de guitare avant une Tele et ça sonnait vachement mieux que ce que j’avais déjà vu/entendu !
Du coup, j’ai gardé cette affection pour le modèle. Ensuite, j’aime vraiment beaucoup le côté robuste, tout terrain, de la Tele. C’est une guitare de prolo et ça me parle. Elle est exigeante et, au final, c’est au musicien de faire gaffe parce qu’elle ne pardonne rien !
En gros, jouer sur Tele, quand c’est bien fait, c’est beau.
En plus, ce n’est pas une guitare très à la mode, surtout dans le métal. Et moi, ça me parle, ça !
Dirais-tu que je suis dans le club Tele si ma gratte de prédilection est la Charvel Signature Joe Duplantier ?
Je ne suis pas un puriste là-dessus ! Un fanatique te dira que si c’est pas une touche érable et trois pontets en laiton c’est pas une Tele mais c’est des cons souvent ! ahaha
Donc, la Charvel JD, c’est Oui x 10000 !
En plus, il a utilisé une Tele US avec deux simples sur L’Enfant Sauvage et ça s’entend de ouf !
Aurais-tu une question à poser à Julien Bitoun ?
Oh c’est chaud ça !
« Pourquoi, selon lui, la Fender Telecaster est-elle un instrument de musicien et pas un instrument de guitariste ? » … pour faire écho à notre échange…
Question à Julien Bitoun
[ Julien BITOUN ]
La question est déjà très orientée alors par esprit de contradiction je me sens presque obligé de défendre le contraire. Mais je comprends bien l’idée. La Telecaster a un côté très direct dans le son comme dans le jeu, et elle ne pardonne aucun à-peu-près. Contrairement à une Les Paul ou une Strat qui donne plutôt des idées dans les moments d’hésitation. C’est donc une guitare qui pousse à recentrer le propos sur l’essentiel plutôt que de se perdre sur des chemins de traverse. Et l’essentiel c’est forcément la musique. Toujours. À ce titre la Telecaster est donc un instrument de musicien.
Pour la suite, tu devrais contacter Chloé Legrand et lui demander « Est-ce qu’il y a des solutions douces à l’invisibilisation des femmes dans le milieu de la musique ou est-ce qu’il faut passer par une vraie Révolution ?«
Question à Chloé Legrand
[ Chloé LEGRAND ]
Même si ces dernières années, on a pu remarquer la présence de femmes de plus en plus nombreuses sur scène, nous restons encore très minoritaires. Le milieu de la musique – et je parle ici de la musique actuelle – est encore très masculin et malheureusement baigné dans un système patriarcal. L’invisibilisation des femmes sur scène s’observe bien en amont, avant même d’accéder au milieu professionnel. Dans les écoles de musique et les conservatoires par exemple, on constate déjà une certaine disparité. Ce constat est probablement lié au fait que, depuis toujours, nous avons eu très peu de modèles féminins auxquels nous identifier. Et au-delà de cette sous-représentation des femmes dans la musique, il y a cette fausse idée que, nous les femmes ne sommes pas faites pour ça, pas légitimes. Toutes les femmes musiciennes que j’ai pu rencontrer au cours de ma vie, qu’elles soient professionnelles ou non, souffrent du syndrome de l’imposteur. C’est quand même fou !
La deuxième chose qui contribue à invisibiliser les femmes dans ce milieu, c’est la manière dont nous sommes accueillies et traitées. Une femme musicienne qui se professionnalise, qui réussit même, doit toujours redoubler d’efforts pour faire ses preuves. Elle est aussi en permanence confrontée aux rapports de pouvoirs patriarcaux, et est exposée aux violences sexistes et potentiellement sexuelles, au harcèlement et au cyberharcèlement.
Pour réussir, être visible et considérée, une femme musicienne doit obéir aux diktats classiques et sexistes de notre société : elle doit être belle, jeune, mince, « sexy » mais pas trop, ne pas être mère, ne pas dire trop ce qu’elle pense…etc. J’ai déjà entendu un directeur de label dire « qu’une chanteuse de plus de 35 ans, mère, qui commence sa carrière, ça n’intéresse personne ». C’est terrible quand même ! Et ensuite, les femmes qui réussissent et qui ont une certaine visibilité sont beaucoup plus sujettes à la critique. Malheureusement on voit des femmes talentueuses abandonner leur carrière ou faire des burn-out pour toutes ces raisons. Il faut être forte psychologiquement pour tenir et ne pas se décourager, ne pas abandonner, et apprendre à avoir (et à garder) confiance en soi.
Heureusement, depuis plusieurs années, et depuis la vague #metoo qui est venue bousculer tous les milieux, il y a eu des avancées. Effectivement, il y a plus de femmes sur scène, plus de campagnes de sensibilisation sur les VHSS (Violences et Harcèlement Sexistes et Sexuels) faites aux femmes et aux minorités de genre, une parole qui s’est libérée, plus d’espaces dédiés aux femmes… Et un élan de sororité qui ne cesse de croître et qui est très rassurant.
Aujourd’hui, il existe beaucoup de solutions douces et très positives qui font avancer les choses. De nombreuses associations sont nées, elles mettent en valeur la place de la femme dans la musique et abordent toutes ces problématiques (Les Femmes S’en Mêlent, More Women On Stage, She Said So, pour en citer quelques-unes). Des espaces de rencontres en non-mixité choisie se sont créés et permettent aux femmes musiciennes et techniciennes d’échanger et de se retrouver. Dans le cadre du GuitarFest, j’ai donné une masterclasse de guitare en non-mixité choisie, organisée par l’association Les Femmes S’en Mêlent. On se rend vraiment compte de l’importance de ces rencontres, elles sont vraiment indispensables et très réconfortantes, on en ressort plus fortes.
Dans la continuité de ce mouvement, on peut constater la présence de femmes de plus en plus nombreuses sur la scène rock et punk. Enfin on dépasse l’image clichée des groupes de rock exclusivement masculins, comme si le rock et le punk n’étaient réservés qu’aux hommes. Et bien sûr, en tant que guitariste électrique, je trouve plaisant de voir qu’enfin on sort les femmes du carcan dans lequel on les enferme d’habitude (une musicienne n’est pas forcément chanteuse de pop ou violoniste dans un orchestre classique…).
Dans l’inconscient collectif, les instruments de musique sont très genrés. On a souvent l’image construite qu’une femme doit forcément être chanteuse, violoncelliste, harpiste, et on l’imagine rarement derrière une guitare électrique ou une batterie, qui sont des instruments toujours associés aux hommes. Les styles musicaux sont eux aussi assez genrés. On enferme souvent les femmes dans la chanson, la variété, la musique classique, probablement parce qu’on associe toujours la femme à « quelque chose de doux ». On se représente plus difficilement une femme batteuse dans un groupe de métal ou de punk. Et pourtant !! Depuis quelques années, je joue principalement dans des projets non-mixtes de pop, rock, rap, punk, là où l’on n’attend pas forcément les femmes (Ayla Millesen, Vulves Assassines). Et vraiment ça fait du bien d’avoir l’impression de casser un peu les codes. Le fait de jouer qu’avec des femmes est très porteur, ça donne beaucoup de force et de confiance en soi, et surtout on a un peu plus l’impression d’être toutes sur un même pied d’égalité. Au moins quand t’arrives sur un festival, on ne te demande plus si t’es la chanteuse ou la petite copine du batteur, mais on te demande plutôt si tu es la guitariste ou la batteuse.
Par ailleurs, il existe aussi des formations sur les VHSS qui sont très instructives et que tout le monde devrait faire, vraiment, ça devrait même être obligatoire ! En tant que femme, c’est très rassurant et important de connaître ses droits et le cadre juridique du monde du travail. J’ai assisté à l’une de ces formations, mais il n’y avait que des personnes déjà très sensibilisées au sujet. Pour que les choses avancent de manière constructive, tout le monde devrait se mettre rapidement à la page.
Même si on note quelques évolutions et progrès dans le domaine de la musique, il reste encore énormément de route à faire. Le milieu de la musique n’est finalement qu’un échantillon et un reflet de notre société. Tous ces sujets sont très politiques car cela concerne vraiment tous les domaines. Le patriarcat est partout et continue de gangréner notre société. Vivement que les choses bougent, partout, et plus vite. Au delà du milieu de la musique, je crois en une vraie révolution féministe, et elle est déjà en marche. Et il n’y aura pas de révolution féministe et transféministe sans convergence des luttes, c’est à dire sans lutte des classes, sans justice sociale, sans écologie, et sans lutter contre le racisme et l’extrême droite.
Et ma question sera double et pour Alice Animal : Les femmes sont de plus en plus présentes sur la scène rock, il y a de plus en plus de groupes exclusivement féminins, de femmes guitaristes, bassistes, batteuses… Comment et en quoi les femmes donnent-elles un nouveau souffle et une nouvelle image au rock (jusque-là très masculin) ? Est-ce que le rock peut permettre aux femmes musiciennes de sortir des clichés dans lesquels on les a souvent enfermées ?
Question à Alice Animal
[ Alice ANIMAL ]
Pour répondre à ta première question, les femmes sont en effet de plus en plus présentes sur la scène rock mais il faut souligner qu’on est encore au début d’une évolution : pour l’instant elles ne représentent en gros que 10% (en 2019, chiffre du CNM) des artistes dans le domaine du rock/metal et seulement 14% parmi les artistes programmés dans les festivals cette année-là, tous genres musicaux confondus. Donc les choses évoluent mais lentement… On est encore loin de la « parité ».
Il est clair que jusqu’ici le rock était exclusivement masculin, synonyme de testostérone. Quasiment toutes les icônes du rock sont masculines : des hommes avec une attitude virile, voire sensuelle et suggestive, jouant sur des instruments qui demandent énergie, puissance, précision, technique, engagement physique.
Or, si la musique sert à partager des émotions, des idées, des images avec tout un public, avec toute une foule forcément composite et complexe, qui va recevoir et s’enrichir de cela, ça n’aurait aucun sens que seuls les hommes aient le monopole d’un style, d’un métier, d’une technique, d’une idée. Les femmes apportent à la scène rock une image différente et riche qui vient nuancer et compléter le tableau. Et on attendrait même qu’elles changent aussi le tableau d’ailleurs ! Les femmes peuvent, à leur manière, faire éclater les attentes conventionnelles, amener visuellement et musicalement une énergie et une sensibilité inattendues. Elles ne doivent plus hésiter à imposer leur présence et la puissance de leur énergie et de leur possibilités créatrices.
Le fait qu’il y ait plus de femmes sur scène va forcément donner un nouveau souffle et provoquer une « normalisation » de la présence féminine. J’ai souvent rencontré des petites filles ou des adolescentes qui venaient me voir à la fin d’un concert en me disant des étoiles dans les yeux : « je veux faire de la guitare électrique comme toi ! » Nous sommes dans une période où les femmes s’expriment davantage sur la question de leur place. Le fait d’en parler suscite une forme de remise en question de la société et une compréhension nouvelle de notre statut. Il s’ensuit que lentement (trop lentement sans doute) les lignes bougent pour laisser la place à tout le monde sur scène.
Quant à ta deuxième question, tout dépend des clichés dont on parle. Les clichés de quelle époque ? En quelques années, toutes les lignes ont bougé à une telle allure… Ce que je dirais sur les clichés, c’est seulement qu’il convient de faire attention à ne pas être ce qu’on n’est pas pour être acceptée dans un milieu. Jouer le contraire d’un cliché c’est aussi un cliché. Ceci dit, je pense que les femmes musiciennes, pour « sortir » des clichés, doivent être considérées comme des artistes à part entière. Dès qu’on voit l’artiste avant de voir la femme ou la féminité, on est sur la bonne voie pour se situer hors des clichés.
Et ma proposition de question pour Fred PALLEM est : on est toujours impressionné par les nombreuses casquettes artistiques que tu adoptes. J’ajouterai : avec un professionnalisme qui impose le respect. Quel est donc ton secret pour lutter contre le sentiment de dispersion ? Par ailleurs, lorsque tu passes d’une frontière artistique à une autre, est-ce que tu rencontres des résistances dans le milieu culturel ou pas ? Somme toute, comment t’es tu imposé avec cette personnalité plurielle dans le milieu ?
Question à Fred Pallem
[ Fred PALLEM ]
… Quel est donc ton secret pour lutter contre le sentiment de dispersion ?
Je ne me pose pas la question. Si dans le cadre d’une collaboration artistique je ne vois pas où trouver mon plaisir, ou si je sens que je ne serai pas à la hauteur musicalement, je refuse tout simplement.
… Par ailleurs, lorsque tu passes d’une frontière artistique à une autre, est-ce que tu rencontres des résistances dans le milieu culturel ou pas ?
Tu parles probablement des programmateurs qui, suivant les salles et festivals, ont des lignes artistiques précises ? Je propose des projets qui rentrent dans telle ou telle case, voilà tout. C’est le jeu, il y a des cases (…). Je rêve d’un festival qui mélange le jazz, le rock, le classique, le rap…
… Somme toute, comment t’es tu imposé avec cette personnalité plurielle dans le milieu ?
Ça fait 30 ans que je fais ça. On s’habitue, mais il y a toujours une ligne directrice : le lyrisme. Le premier virage fut avec l’album « La grande Ouverture » où, comme son nom l’indiquait, j’avais envie d’ouvrir les barrières stylistiques. On retrouve sur cet album des artistes parfois diamétralement opposés. Sébastien Tellier (à la grande époque), Marcel Kanche, un titre de Charles Ives, un standard de Lionel Hampton chante en occitan par André Minvielle. Ça m’as ouvert des portes vers la pop et la chanson. À la sortie, par contre, les critiques jazz qui m’avaient estampillé « bigband de jeunes fous » ont crié au scandale en parlant de promesses non-tenues (…). Mais je ne promets jamais rien moi sauf de faire de la musique avec le plus de sincérité possible.
Ma question à Julien Bitoun : j’ai découvert que le festival durait depuis plusieurs années. Tu as fait des mélanges avec des guitaristes manouche, jazz, expérimentaux ?
JB : Oui, bien sûr, notamment l’excellent Nicolas Parent pour le jazz. Il y a de belles choses dans tous les univers. Il faut juste que j’y trouve un atome potentiellement crochu !
HexaLive : Et voilà ! ce retour au sémillant taulier du Guitarfest clôt cette interview croisée ayant adressé des sujets aussi variés qu’intéressants et il est plus que probable que nous y reviendrons.
Photos : Bruno Aressi (instagram)
Rédaction : Stedim (instagram)