BrokNFace, l’interview

A la première écoute de “La victoire” et “After” ça a été un coup de cœur absolu ! J’ai tout de suite eu envie d’en savoir plus sur la formation et leur musique, compte-rendu de la rencontre avec le groupe.


BrokNface est un groupe parisien, mais comment est né le projet, le concept ? Racontez-nous l’histoire de votre jeune formation.

Mara :  On était dans la même classe au collège, en troisième, et on était les seuls à écouter du metal. Forcément, ça nous a rapprochés. On a alors monté une première version du groupe avec d’autres musiciens.

Sandro :  Oui, on a joué ensemble pendant quatre ou cinq ans.

Mara :  Facile. Et puis ça s’est arrêté, on avait 17-18 ans, on voulait chacun vivre nos propres expériences musicales. J’ai rejoint un autre groupe, Sandro aussi. Finalement, quelques années plus tard, on s’est retrouvés et on a lancé BrokNface. C’est un projet qui a mûri avec le temps et la réflexion.

On a fait nos premières scènes, nos premières erreurs…

Sandro :  Oui, et avec des parcours différents ! On se connaît depuis la sixième, mais à l’époque on était plutôt dans des cercles différents. Quand on s’est retrouvés en troisième, Mara m’a parlé de son groupe. Moi, je n’avais jamais joué, mais j’ai dit : « Je peux venir ? » Et ils ont accepté.
On a commencé avec un batteur et une chanteuse, c’était plus orienté pop, rien à voir avec ce qu’on fait aujourd’hui. C’était nos années d’apprentissage, on a fait nos premières scènes, nos premières erreurs… Une vraie expérience formatrice. On s’est séparés sans conflit, juste l’envie de tester d’autres choses. Puis on s’est retrouvés avec l’idée d’un projet guitare-guitare. Finalement, j’ai gardé la guitare, car je jouais déjà pas mal de basse dans un autre groupe. C’est une longue histoire !

Et aujourd’hui, tu joues sur une guitare à sept cordes ?

Sandro :  Oui, dans le metal moderne, c’est presque incontournable. Au départ, on voulait un son très agressif, assez brut. On avait une approche hardcore, avec des influences rap. Mais on s’est rendu compte qu’on n’apporterait pas grand-chose de neuf. Du coup, on a affiné notre style en ajoutant plus de chaleur, de mélodie, d’émotion.

C’est une vieille histoire du collège

Sandro :  C’est ça. On aimait les riffs bien lourds, mais on ne voulait pas juste copier ce qui existait déjà. Mara a apporté d’autres influences, plus variées, et ça nous a permis de trouver notre propre identité musicale.

D’où vient le nom BrokNface ?

Mara :  C’est une vieille histoire du collège. Le groupe avait un autre nom à l’époque, mais un gars de notre classe n’arrêtait pas de l’appeler « Broken Face » par erreur. Il le disait tellement souvent que ça a fini par rester. On a commencé par « The Broken Faces« , puis on l’a raccourci en « BrokNface« . Le nom collait bien à l’énergie de notre musique, un truc qui te rentre dedans.

Sandro :  Certains nous demandent si ça fait référence aux « gueules cassées » (les soldats blessés de la Première Guerre mondiale, ndlr), mais pas du tout ! Rien à voir.

Mara :  Sinon, on aurait fait la première partie de Sabaton (rires). Bref, ça vient d’un mec un peu relou, mais au moins, il nous a laissé un bon nom !

Comment qualifiez-vous votre musique ?

Mara : On fait du metal avec des influences variées : pop, groove… Sandro pioche dans la funk, notre batteur adore le deathcore et le hardcore, moi j’écoute beaucoup de pop et de RnB. Les gens aiment bien mettre des étiquettes, mais nous, on s’en amuse.

Tout ce que le metal actuel n’est pas

Sandro : Au début, on parlait de « Groovy Hardcore« , c’était assez juste. Maintenant, je dis « Pop Metal« . Allez écouter et décidez ce qui fait pop ou ce qui fait metal. Ce qu’on prépare en ce moment va encore bousculer les cases.

Mara : C’est juste de la grosse musique qui fait danser.

Sandro : C’est aussi une question de scène. On a un côté très coloré, pop, visuellement marquant. Mara en robe flashy, moi en veste à fleurs… C’est festif, énergique.

Mara : Tout ce que le metal actuel n’est pas.

Sandro : Mais de plus en plus de groupes ajoutent de la couleur, visuelle ou musicale, au metal.

Quelles sont vos inspirations musicales ?

Sandro : Je suis fan de néo-metal et de musique électronique, mais aussi de funk. Je peux passer du reggae des années 60 au dernier album d’Architects. J’aime quand une production est soit très propre, soit très brute. L’entre-deux me parle moins.

Mara : Rise Of The Northstar nous a inspirés, pas tant musicalement, mais dans l’idée d’un groupe français qui perce avec un univers visuel fort. Gojira, on adore, mais ce n’est pas une influence directe.

Chanter en français, c’est un peu se trouver à nu

Mara, ta voix est incroyable avec beaucoup de modulations et un growl énervé. D’où vient ta formation vocale ?

Mara : Autodidacte ! Les cours, c’est cher, on n’avait pas les moyens à la maison. J’ai donc appris avec YouTube, et avec des schémas pour comprendre comment fonctionne la gorge. Il faut y aller doucement pour ne pas se blesser. Avec la tolérance de mes voisins !

Beaucoup de vos textes sont en français. A l’instar du single La Victoire. Chanter en français, c’est important pour vous ?

Mara : Ah, pour moi c’est important. Je ne suis pas bilingue, donc quand j’écris, c’est en français. Si on traduit, j’utilise un traducteur, mais ce n’est pas pareil. En anglais, je peux perdre le sens des mots quand je les chante, alors qu’en français, je sais exactement ce que je dis. Ça me permet d’être plus directe et sincère dans mon interprétation. 

Chanter en français, c’est un peu se trouver à nu : tout le monde va comprendre. En anglais, on comprend moins et on a l’impression, quelque part, de se protéger. Il y a plus de pudeur en anglais. Et puis, “c’est si bon de chanter dans sa langue maternelle” comme dirait Vithia (chanteur de ROTN, ndlr) (rires). 

Quelles sont les thématiques de vos EP “Reborn” et “Leave To Live” ?

Mara : Les thématiques, on va dire, c’est l’acceptation de soi, le jeune âge adulte, les problèmes de confiance, et traiter avec ses émotions toute la journée. C’est le début de la vingtaine, quoi !

Sandro : Moi, je m’exprime plus à travers l’image et les clips, car je n’écris pas dans le groupe. Quand je réalise un clip, j’interprète ce que pense et écrit Mara. Il y a souvent l’idée d’un environnement toxique duquel on doit s’extraire, un passage à vide où l’on doit apprendre à laisser partir des gens, des habitudes ou des situations qui ne nous correspondent plus.

Le clip La Victoire est très lumineux, avec un personnage solitaire en animé incrusté, loin des codes du metal habituels (fleurs, nature, etc.). Comment s’est passée son écriture et son tournage ?

Mara : On voulait intégrer de la fiction dans nos clips, même à l’époque où on s’auto-produisait. On a brainstormé avec Sandro et Sacha sur les lieux, les personnages, l’ambiance, les références. J’ai préparé un mood board que Sandro a validé, puis il a écrit une note d’intention. On a trouvé les lieux et tourné en deux jours : une partie nature dans l’Oise et une partie en studio à Saint-Denis.

Sandro : Je voulais absolument que le personnage animé soit vide, juste des contours. On a tourné avec une équipe super pro, avec des repérages, des achats de costumes et de décors (télé cathodiques, lianes, etc). C’était une nouvelle expérience pour nous.

Mara : On a improvisé certains plans sur place, comme la scène avec les ombres. Et l’acteur principal était très impliqué, il a même demandé l’histoire de son personnage, son caractère, tout ça. On n’avait pas vraiment réfléchi à ça puisque c’est un animé. Finalement, ça a été important et le rendu de son jeu a été essentiel pour l’aspect final.

J’avais besoin de représenter ce que je suis et si ça peut déranger les réacs, tant mieux !

Peut-on évoquer les aspects queer du groupe ?

Mara : Bien sûr, comment passer à côté ! C’est très sous-représenté dans le milieu, vraiment sous-représenté.

Y a-t-il une volonté revendicatrice ?

Mara : Je me suis toujours sentie isolée dans ce milieu. Quand j’ai commencé, c’était souvent des gars blancs avec des cheveux lisses, très normés et hétéro-normés. Moi, j’avais du mal à me trouver dans tout ça, surtout sans exemple. J’ai longtemps douté, mais à un moment, j’ai décidé de foncer. J’avais besoin de représenter ce que je suis et si ça peut déranger les réacs, tant mieux ! Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a un public, surtout chez les jeunes queer, qui viennent à nos concerts et qui en ont besoin. Même si c’est encore une minorité, il y a un réel besoin de visibilité. En France, peu de groupes osent afficher ça ouvertement, souvent par peur du jugement. Mais plus je le fais, plus je me sens libérée et plus j’ai envie de continuer à pousser ce message.

Sandro : Le queer, mais pas le cuir ! (rires)
Blague à part, il y a toujours eu une esthétique efféminée dans le metal, cuir, latex, par provocation à la Mötley Crüe, mais ça restait dans des codes très hétéro. Aujourd’hui, des artistes queer s’imposent plus librement, et ça commence à changer.

Mara : En France, il y a peu de groupes qui osent revendiquer ça ouvertement. Peut-être par peur du jugement. Mais ça change, et on a envie d’en faire partie. Et puis même si au début, tu ne te sens pas forcément en confiance, quand tu sors de scène, t’es tellement libérée !! Petite, j’aurais aimé voir une chanteuse qui bouge ses hanches comme je le fais ! 

C’est vrai que sur scène vous envoyez ! C’est une sacrée prestation.

Mara : Le live, c’est un vrai moment de libération. Le studio, c’est stratégique, cadré, mais sur scène, on lâche tout, on incarne pleinement l’énergie de notre musique. C’est intense, ça doit être solide.

Moi j’aime bien jouer sur le contraste entre mon apparence et ce que je donne sur scène

Sandro : Je me souviens d’un concert en off du MozHell, la veille du festival. C’était un public très “barbus en kilts”, pas forcément notre cible habituelle. Et là, un gars vient me voir à la fin, super surpris : il s’attendait à rien, et finalement, il avait kiffé. Ce genre de réactions, c’est hyper fort. Au-delà de la revendication politique, c’est la musique qui parle, et ça bouscule les a priori.

Mara : Faut être honnête : les personnes trans sont souvent vues comme des clowns et pas prises au sérieux. Moi j’aime bien jouer sur le contraste entre mon apparence et ce que je donne sur scène. Une robe flashy, des gutturales bien violentes… Et les gens viennent me dire qu’ils ne s’y attendaient pas du tout. Tant mieux ! Ça remet un peu les pendules à l’heure. Ce que je veux montrer, c’est qu’on bosse, qu’on est là pour faire les choses bien. Et que ceux qui avaient des idées toutes faites repartent avec un autre regard.

Vous avez été nommés aux Triomphes du metal français dans la catégorie Hybrid (et c’était plus que mérité !) Racontez-nous cette aventure ?

Mara : Je croyais que c’était la catégorie “bizarre” ! 

On a appris qu’on était nommés avant même de savoir dans quelle catégorie, alors on s’est mis à imaginer : “ovni ? metal FR ?” Moi je pensais à metal FR, mais au final, “hybride”, c’est pas mal aussi.

En fait, on n’a pas fait grand-chose pour y être, j’ai juste envoyé les liens de nos morceaux… et hop, on a été sélectionnés. C’était cool, inattendu et super agréable de voir des gens kiffer notre musique sans qu’on ait la main sur ce qui est dit. Et puis ça nous a donné des opportunités !

Sandro
C’est un peu stressant aussi, surtout quand ce sont des pros du milieu — genre Selim du KaveFest ou le batteur de Landmvrks — qui parlent de toi en direct. Tu te demandes s’ils vont nous clasher… (rires)
Bon, l’émission est bienveillante, donc au final, c’était surtout flatteur.

Mara : Les critiques qu’on a eues, on s’y attendait : c’était surtout sur la prod, qui était un peu en-dessous. Mais c’est quelque chose qu’on assume, on n’avait pas mis le bon budget ni choisi le bon studio. 

Maintenant on sait : la prod, c’est comme la cuisine

Sandro : Maintenant on sait : la prod, c’est comme la cuisine — faut les bons ingrédients et un peu d’investissement. Le talent ne suffit pas si t’as juste une vieille carte son à la maison ! Ce genre de retour, ça aide à progresser.

Mara : Et puis ça fait plaisir de pouvoir montrer ça à nos parents. Ils étaient trop fiers. On a même regardé toute l’émission, c’était vraiment chouette.

Qu’avez-vous pensez des autres groupes de cette catégorie ?

Mara : Horskh, j’ai trouvé ça sympa. Leur esthétique est cool, leur clip vertical aussi, c’est un format qu’on avait envisagé.

Sandro : Leur musique, plus indus, me parle un peu moins, mais tu sens qu’ils ont une vraie DA, un univers très cohérent, bien installé. C’est logique qu’ils gagnent — ils sont plus avancés que nous, c’est pas une critique, juste un constat. Et ça reste une super découverte parmi plein d’autres dans l’émission.

Et concernant Downterra, l’autre groupe nommé dans votre catégorie ?

Mara : Downterra, franchement, tout est cool. Leur univers drum and bass, c’est super sympa, très énergique. Y’a une vraie vibe.

Sandro : C’est un sacré pari quand même de mettre son propre groupe dans l’émission qu’on présente ! C’était quitte ou double. Mais Arthur [Alternatif] est toujours très honnête, même si ça reste un exercice risqué. Il joue franc jeu, mais c’est clair que c’est osé.

Ça va être une très belle soirée.

Après le concert à l’Alimentation Générale en première partie de Changeline, quelles sont vos prochaines dates ? 

Mara : On joue le 5 avril à la KUNDA (l’interview a eu lieu un peu avant cette date, ndlr), un tiers-lieu autogéré qui accueille des assos et des concerts. C’est un carnaval organisé par un collectif : il y aura des animations toute la journée, et des concerts le soir, dont le nôtre.
C’est un événement de soutien aux personnes expulsées et aux squats, parce que la KUNDA est elle-même menacée de fermeture par l’État. Personne ne sera payé, c’est une action solidaire, tous les fonds vont à la cause.

Et ensuite, on joue le 25 avril à La Java, avec Sex Shop Mushroom et Goya, ça va être une très belle soirée.

Et plus tard dans l’année ?

Mara : Oui ! Le 14 juin, on sera au Ziquodrome de Compiègne avec Kami No Ikari, Imparfait, Encounters, FixerStuff et Broknface.
Et on a aussi été annoncés au Kave Fest, on y jouera le dimanche 7 juillet !

Nous avons une tradition chez HexaLive : quel groupe ou artiste de la scène metal française vous nous conseilleriez d’interviewer et quelle question aimeriez-vous lui poser ? 

Sandro : Dans la scène française… ouais, Landmvrks, franchement, je suis fan. J’aime beaucoup ce qu’ils font. Et je trouve que vu leur parcours, le fait qu’ils fassent un Zénith – je crois que c’est un des seuls groupes français de metal à avoir fait ça depuis des années !

Du coup, la question que j’aimerais leur poser, ce serait :
« Est-ce que vous vous sentez un peu comme l’étendard du metal français ? »
Parce qu’à ce niveau-là, avec cette visibilité, c’est pas rien. Je suis curieux de savoir comment ils perçoivent ça, s’ils ressentent une forme de responsabilité, ou pas du tout.

Merci beaucoup Sandro et Mara pour le temps que vous nous avez consacré ! Et à bientôt en salle ou en festival !

Interview réalisée par Maïa (instagram)

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