Cette année, les festivals auront eu, en plus de me faire découvrir les nouveautés de la scène hexagonale et internationale, le mérite de me faire voyager en Ile-de-France. Après une folle randonnée en quête du Parc Interdépartemental de Choisy-le-Roi pour le Festi’val de Marne, je cherchais cette fois-ci à atteindre le centre Paul Baillart, rebaptisé Paul B, situé, selon le plan, à un quart d’heure à pied de l’arrêt de RER Massy-Verrières.
Pendant quatre jours, ce centre culturel allait accueillir pas moins de vingt et un groupes de tous bords pour la 10è édition des Primeurs de Massy: rock, folk, musique du monde, jazz, soul, électro, pop, chanson pour s’en tenir à une nomenclature réductrice. Le point commun des groupes conviés résidant non pas dans un style musical, mais plutôt dans leur degré d’ancienneté dans les bacs. Les Primeurs viennent, en effet, chaque année couronner le premier album de musiciens prometteurs, et ont démontré leur flair en terme de programmation lors des précédentes éditions.
31 octobre 2007
Imbert Imbert : A peine le temps de souffler et de s’étonner de la présence de fauteuils, Imbert Imbert investit la Grande Salle. Je ne sais pourquoi je m’attendais à voir apparaître plusieurs individus sur scène, peut-être en raison du nom. En vérité, l’on retrouve bien deux personnages: Imbert Imbert est composé de Monsieur Imbert, un jeune homme à l’œil pétillant et à l’allure punk avec sa combinaison en cuir entrouverte et sa crête, et de sa » grosse « , Madame Imbert, une contrebasse tantôt cajolée à l’arc, tantôt pincée et abusée. Le duo étonne certains par son charisme scénique. Plus d’un sourit aux paroles grivoises voire franchement crues, d’autres acquiescent aux propos socialement engagés de ses chansons aux airs mélancoliques. Il raconte la noirceur des déchirements amoureux, des conflits urbains ou intérieurs. L’individu dont la sympathie est indéniable, émaille sa prestation d’humour et de petits « tours de magie » mais l’ensemble est hélas plutôt répétitif et » monocorde « .
Constance Amiot : Je ne connaissais pas Constance Amiot en entrant dans la deuxième salle, le Bar. Une rapide enquête m’a conduit vers l’inquiétante perspective d’une Carla Bruni bis. Quelques notes plus tard, et même si je concède qu’il s’agit bien de chansons aux allures folk pop dans la veine de la belle italienne, j’en ressors agréablement surprise. Il y a une certaine recherche dans les compositions, la douceur ne penche pas trop vers la mièvrerie. Les paroles en anglais et français permettent de varier les tonalités. L’accompagnement guitare- harmonica- batterie-contrebasse produit un son harmonieux, à l’image de l’interaction des musiciens sur scène. Il me semble que ‘Fairytale‘ reste l’écoute la plus mémorable du set par son alliance de notes funk et de guitare acoustique.
Il restait encore trois groupes à passer ce soir-là, parmi lesquels l’étoile montante de la folk, Yael Naïm, dont le ‘New Soul‘ envahit progressivement les ondes… mais malheureusement, les aléas de transports franciliens ont dicté ma conduite.
1er Novembre 2007
Ours : Débarrassons-nous d’entrée de jeu du potin mondain: le jeune Ours est bien la progéniture d’Alain Souchon. Arrivé vêtu d’un T-shirt customisé à l’adhésif, le chanteur interprète d’emblée son succès de la rentrée, le paradoxalement souriant « Cafard des fanfares » avant de s’excuser de l’absence des cent cinq musiciens qui l’accompagnent normalement sur scène : les cuivres, le philharmonique entraîné par un chef d’orchestre très énervé, et le chœur gospel. L’atmosphère est agréablement surréaliste : un homme qui tourne en rond dans son salon est apparenté à une orange, un certain » Jojo A » interprète une composition ping-pong avec le public. Rien de révolutionnaire dans la musique de cet animal, mais une vraie tendresse, un timbre légèrement cassé tout en caresses et une volonté de communiquer son amour pour la musique.
Mellino : « On est les Mellino et on attaque direct. » Voilà comment débute le set très énergique de ce trio constitué de l’ancien guitariste-chanteur des Négresses Vertes, de sa femme Iza et du batteur Fabrice Sansonetti. « Je fonce droit vers l’inconnu…les nerfs à vif « , les chansons en français et espagnol s’enchaînent à la force des coups de talon flamenquesques, poussés par les voix chaleureuses du couple Mellino et le rythme fiévreux et souriant du percussionniste.
Aronas : Autour du pianiste Aron Ottignon, la formation néo-zélandaise d’Aronas produit un jazz surprenant. N’étant pas moi-même une franche adepte de cette forme musicale, je poussais avec appréhension la porte de la Grande Salle. Au gré des pianotements, les pieds esquissent quelques pas de danse. Quel plaisir de voir le parterre prendre des allures de discothèque au gré des pulsations d’une vraie batterie (et non d’une beatbox). Il est évident que chaque membre de ce quatuor apporte une couleur musicale personnelle. Il n’y a pas de chant dans la musique d’Aronas : le pianiste se contente d’impartir quelques indices atmosphériques au public pour lui permettre de créer une image mentale…mais certains parviendront à entendre au delà des mélodies entraînantes des paroles.
2 Novembre 2007
Constance Verluca : Les premiers mots que j’ai entendu en pénétrant dans la salle ont été » vive le chocolat, la cocaïne et la vodka! « . Le ton est donné. La jeune femme au chemisier négligemment boutonné n’est pas aussi fleur bleu que son physique de frêle blonde laisserait croire. Les airs blues se révèlent être plutôt guillerets. Les comptines se transforment en hymnes rock. Je ne pouvais m’ôter de la tête l’image d’une Françoise Hardy décoincée des épaules, du bassin et de la langue flanquée d’une équipée de musicos aussi déjantés qu’elle.
Don Cavallia : 21h, au Bar, attendait le trio blues de Don Cavalli, prêt à tous nous embarquer, au gré d’une guitare Wah-Wah aux sonorités didgeridooesques et de son timbre rocailleux : un road trip imaginaire et très vintage le long de la mythique route 66, avec un détour du côté du Kentucky, le bercail du bluegrass.
Hey Hey My My : Hey My My investit la Grande Salle à 22 heures. Là aussi, le voyage est au rendez-vous: un aller simple pour Merryland. Difficile de ne pas fondre à l’écoute de cette pop folk riche, nostalgique, débordante d’invention et d’enthousiasme. Entre deux morceaux, Julien annonce solennellement la mauvaise nouvelle, » quelques uns vont se faire larguer ce soir, c’est mathématique » pendant que le second Julien, en nage, s’éponge et retire ses lunettes. Il n’est pas le seul à être submergé: alors que certains attendent « Too Much Space « , que d’autres ne jurent que par » Poison « , et que tous répondent aux injonctions de participer aux choeurs de » A true story « , mes orteils se languissent de battre la mesure de » Don’t Sell Me Now « . Même s’il est » encore temps de rentrer regarder la Star’Ac » le groupe offre un dernier frisson lorsqu’ils entonnent enfin les premiers accords de » Celia « , d’une gravité sublime.
The Tellers : Je finis ma soirée en charmante compagnie, celle de la jeune formation Belge signé sur le label de Girls in Hawaï, 62 TV Records: j’ai nommé The Tellers. Un pop folk (décidément) rafraîchissant et efficace servi par un groupe multicarte, mobile, coloré et beau (disons-le).
3 Novembre 2007
Moriarty : Le buzz autour de Moriarty est, pour le moins, énorme ces derniers temps, à tel point que j’avais lu de très nombreuses chroniques les concernant, toutes plus mystérieuses les unes que les autres, sans jamais avoir eu l’occasion de n’entendre ne serait-ce qu’un seul de leurs titres. Le dernier soir des Primeurs allait mettre fin à ce triste état d’ignorance. Moriarty est une troupe menée par la charismatique Rosemary : à la fois dominatrice et babydoll, elle narre avec conviction, ou avec un détachement étudié des histoires souvent tragiques, captive l’auditoire par son timbre déroutant, réminiscent du folklore américain. Un aspect que ne démentent guère le décor et les costumes d’inspiration » saloon « . A noter une très belle reprise de » Enjoy the silence » de Depeche Mode.
Stuck in the Sound : Je les savais généreux avec leur public: il m’avait suffit de comptabiliser les litres de sueurs déversés sur scène par José (lead et guitare), Manu (guitare électrique), Arno (basse) et François (batterie et choeurs) lors de leurs prestations aux Solidays, Paris Plage et au Festi’Val de Marne. A Massy, ils n’ont pas été en reste! La Grande Salle avait parcouru une vaste gamme d’émotions depuis l’ouverture du festival. Les ‘Stucks’, avec un lead d’une versatilité vocale impressionnante, un bassiste superbement métalleux, un guitariste gaucher prodigue et un batteur qui ne concède rien, allaient lui infliger le coup de grâce. Littéralement dans les starting blocks, le public, nombreux, prend rapidement ses marques: pogotteurs au centre, les moins téméraires occupant les axes latéraux. ‘Toyboy‘, titre phare, hérite, sans grande surprise, de la majorité des suffrages, et donne lieu au désormais traditionnel slam sur les paroles » please baby talk! » exécuté par un inconditionnel du groupe. En plus dune partie des treize titres présents sur l’album » Nevermind the Living Dead « , le très beau ‘Shoot Shoot‘ qui s’ancre davantage dans un registre pop, rencontre l’adhésion d’une foule compacte et survoltée. Une quarantaine de minutes plus tard, la frustrante brièveté du set est compensée par un succulent ‘Delicious Dog‘ en rappel.
Après deux ans de travaux, Les Primeurs de Massy réintégraient enfin leurs locaux d’origine. Le bâtiment, arborant désormais une façade aux faux airs de chalet suisse, semble avoir survécu à la tornade musicale de quatre jours…rendez-vous donc l’année prochaine pour une nouvelle dégustation!
Soraya Nigita